La baleine et le Retuerta

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Image : Claudette Galland

 

Quand j'ai écrit "Côte à côte", le premier, puis le deuxième, puis le troisième... c'était pour moi un jeu d'écriture sans conséquence. Un auto-défi où je me proposais d'écrire une série de textes intégrant ces mots, autour d'un même lieu, à la première personne du singulier. Quand je n'aurais plus d'inspiration, quand je ne trouverais plus d'autres emplois possibles de l'expression (probablement à la fin de l'été), je m'arrêterais. Les nouvelles se succédaient sans logique précise au gré de mon inspiration, telles des perles sur un fil. Un jour, le collier serait achevé : je couperais le fil.

 

Finalement, cette expérience  a pris une tout autre tournure. D'abord, j'ai repris ce texte l'été suivant, ce qui n'était absolument pas prévu. D'autres "Côte à côte" me sont venus, avec cette fois des échos entre eux. Certains personnages ont disparu, d'autres se sont invités. Des liens entre les différentes scènes juxtaposées "au hasard" (croyais-je) sont apparus, certains légers, en filigrane, d'autres plus  marqués, plus évidents. Comme si, durant cette parenthèse silencieuse entre deux étés, le texte avait commencé à vivre sa vie sans moi, à travailler à la façon d'une pâte qui lève. Il avait fermenté, mûri, gonflé. Il demandait à être remis à plat, retravaillé. Et c'est ainsi que, à mon propre insu, "Côte à côte" a commencé à prendre la tournure d'un roman.

 

Je n'avais jamais encore écrit de roman. Je me sens mieux avec les textes courts, ciselés à l'unité comme des miniatures. Des textes éphémères qui irisent l'imaginaire du lecteur, puis éclatent dans l'oubli comme des bulles de savon. J'aime cette écriture instantanée, spontanée, sans calcul. Le roman me semblait exiger une stratégie préparatoire, une complexité qui m'ennuyaient d'avance. Là où les nouvelles m'offraient des promenades, le roman me faisait l'effet d'une épreuve d'endurance, d'un décourageant marathon.

 

Je sais, pour l'avoir lu ou entendu, que certains écrivains, tels Bernard Werber ou Amélie Nothomb, ont une véritable "discipline" d'écriture : tous les jours de telle heure à telle heure, avec un plan et un projet précis. Je comprends cette façon de faire; je serais incapable de la pratiquer. Personnellement, elle me ferait même fuir. Faire du plaisir d'écrire une discipline rituelle m'en ôterait la moité, peut-être même davantage. J'ai besoin de souplesse, de jeu, de liberté. C'était déjà ainsi, pendant mes études, avec les dissertations littéraires qui devaient obéir à un plan non négociable : trois parties, trois paragraphes par partie, trois idées par paragraphe et trois exemples associés à ces idées. Quelle barbe !!!

 

Je me suis pliée à l'exercice, je comprends la nécessité d'acquérir une méthodologie et de l'appliquer au détail près (c'est l'enseignante ici qui parle, pas l'auteure !) mais, pour être foncièrement honnête, la seule chose qui me reste de cette structure rigoureuse, trente en plus tard, est l'exaspération d'une écriture contrainte, sans souffle, sans âme, d'une expression corsetée par les règles arbitraires du bien dire (établies au nom de quoi, d'ailleurs ?), qui m'a laissé surtout le goût de ne plus y revenir (même si je saurais le refaire en cas de besoin, pour un examen par exemple, j'en suis sûre). En un mot  : "Berk !"

 

Nous avons la chance d'avoir une langue, une littérature d'une telle richesse ! Pourquoi les obliger à entrer dans ce carcan ? Pourquoi dégoûter les enfants, les adolescents, les futurs adultes, du plaisir des mots ? N'y a-t-il vraiment pas une autre façon de les aborder, de les pratiquer ?


Ce forçage n'a pas pour moi plus de sens qu'obliger une femme plantureuse, naturellement splendide, pleinement épanouie, à écraser ses formes magnifiques dans une gaine et un soutien-gorge à baleines de titane (oui, je suis contre le corsetage des corps, aussi... en fait, je crains d'être contre toutes les règles qui créent de la frustration et de la souffrance inutiles au nom du consensus social).

 

Bien... je n'anticipais pas que l'évolution de "Côte à côte" m'inspirerait un texte aussi véhément : initialement, je voulais juste vous informer que je continuais à l'écrire. Je me demande vraiment comment font ces auteurs qui mènent leur inspiration où ils veulent, comme un chien ou un cheval bien dressés. La mienne doit être une louve ou un Retuerta !

 

Image : https://paso-espanol.blogspot.com

 

La charmille

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Le jardin de mes parents disposait d’une charmille. Le charme n’était pas typiquement un arbre de notre région : les cyprès et les buis étaient mieux indiqués pour résister à la sécheresse estivale. Mais le commerce de mon père, très lucratif, lui permettait de s’offrir des extravagances auxquelles les princes voisins n’avaient rien à envier. La charmille fut de celles-là. A son insu, il fut même précurseur de la mode qui s’installa, un siècle plus tard, dans les jardins tirés au cordeau des villas palladiennes.

Un drapier de Paris venu se fournir chez nous en velours et en soies d’Orient lui parla des charmilles. Avant même d’en avoir vu les premiers croquis, mon père fut séduit par le projet. Notre parc domanial regorgeait d’arbres centenaires qui fourniraient la fraîcheur nécessaire aux jeunes plants importés et les préserveraient du dessèchement.

Mon père fit aménager l’allée à l’est, où la chaleur matinale restait tempérée, et où l’ombre projetée des essences plus anciennes protègerait les arbrisseaux. Il s’était mis en tête qu’ils auraient suffisamment grandi, quand je serais en âge de me marier, pour que le cortège nuptial défile sous la voûte végétale décorée en grande pompe avant de franchir le seuil de notre demeure.

Il se trouve que les fenêtres de ma chambre donnaient sur le levant. J’ai ainsi grandi avec, pour horizon, la ligne douce des collines à l’arrière-plan et, au premier, l’allée des charmes en croissance dont les branches s’entrelaçaient avec élégance, suivant docilement l’arrondi des arceaux qui leur montraient le chemin à prendre.

Je ne me suis jamais mariée sous la charmille.

J’ai quitté la demeure familiale en hâte, comme une voleuse, une nuit de Vendredi Saint, avec l’homme que j’avais choisi. Avec lui et pour lui, je suis devenue renégate, proscrite, orpheline, démunie, besogneuse. J’ai connu la condition des exilés, des clandestins, j’ai prêté mes mains fines à des travaux qui, chez nous, étaient réservés aux servantes, et à d’autres ouvrages encore qui étaient interdits, comme la médecine des herbes et l’aide aux femmes « impures », - terme regroupant dans un vaste pêle-mêle celles en périodes de menstruations, celles en couches, celles qui désiraient avorter, celles qui avaient été forcées, celles à qui on avait transmis des maladies… bref, toutes celles qui n’étaient pas conformes aux règles de l’ordre établi.

Je n’ai jamais revu ma famille ni ma terre. Si j’étais revenue, j’aurais risqué la mort pour avoir osé la désobéissance, la trahison, le déshonneur. Telle était la loi des filles et des femmes de l’époque. Telle est-elle encore en certains lieux de votre « modernité ».

A la charmille, j’ai préféré mon prince charmant, même s’il ne possédait aucune des qualités requises pour satisfaire aux critères du code de mon clan. Je l’ai payé de ma jeunesse, de ma solitude, de notre vie précaire, secrète, laborieuse. Mais cette même vie m’a appris que deux êtres peuvent entrelacer leurs destinées plus solidement que les rameaux d’une charmille ne le feront jamais, que les épreuves vécues, affrontées, dépassées ensemble, nouent des alliances plus fortes que celles du mariage le plus fastueux, et que si les charmilles résistent aux rigueurs de l’hiver et du temps, capables d’atteindre sans flétrir un âge séculaire, deux êtres arc-boutés ensemble contre l’absurdité des moeurs peuvent aussi infléchir à leur humble mesure la croissance d’une société immature, et leur union traverser les saisons sans faner.

 

Côte à côte (20)

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Tous les visages familiers sont là, épanouis, enjoués, autour de la table. Le vin coule à flots dans les verres qui tintent. Les bijoux des femmes, les montres des hommes scintillent. Les enfants en tenue du dimanche jouent bruyamment à proximité, l’un d'entre eux rit même à s’en tenir les côtes. Les voix haussent le ton, rivalisent crescendo pour surmonter le brouhaha, des exclamations fusent, stridentes ou tonitruantes, singulières ou groupées ; on escalade le mur du son pour poursuivre les conversations entamées à droite, à gauche, en face, en diagonale, à l’opposé de la table et partout en même temps. Les antipasti, succulents, ont fait l’unanimité ;  les lasagnes, onctueuses, juteuses, cuites à la perfection, ont été un pur régal, quant au tiramisù, c’est une spécialité de la maison... Le nimbe des cigarettes, des cigarillos, des pipes de quelques originaux, encense la scène d’auréoles fumeuses, comme pour mieux bénir l’assemblée en fête.

Je ne pense qu’à toi qui n’es pas là.

Je ne pense qu’à toi qui n’es pas là.

Je ne pense qu’à toi qui n’es pas là.

  

Lire les autres "Côte à côte"

 

Si t'as d'ailes

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Il s’était construit ainsi. Il fallait bien avancer. Traverser les épreuves de la vie, assumer les responsabilités, même celles qui étaient arrivées trop nombreuses, trop tôt. Avancer enlisé dans les difficultés, les dents serrées, les poings fermés, face au vent. Pour la tendresse, pas la place. Pour la douceur, pas le temps. Pour la compassion, pas l’espace. Les émotions, c’était du temps perdu, de l’énergie en moins, une résistance plus faible aux événements. Un homme, un vrai, devait se montrer capable d’encaisser les coups de sort, de se relever même après un KO. Ouvrir son cœur… ce n’était pas qu’être faible, ce n’était pas que ralentir : c’était dangereux. C’était ouvrir la boîte à tout ce qu’il avait verrouillé dedans. Tout ce qu’il s’était interdit. Tout ce qu’il n’avait pas reçu des autres, tout ce qu’il ne s’était pas non plus accordé. Le cœur, c’était fragile, changeant, incontrôlable. Lui avait besoin de stabilité. Un jour, peut-être, quelqu’un trouverait la clé de la boîte, le soupirail d’entrée dans la forteresse. Peut-être. En attendant, c’était tranquille et confortable de vivre à l’abri des remparts, conforté par les contreforts de routines solides, de repères réguliers cuirassés d’habitudes. Malgré les coups du destin, il avait pris sa revanche sur les revers injustes, il s’était construit une belle vie, solide, réussie, enviée même par certains.

Elle n’avait eu besoin ni de clé, ni de soupirail. Elle était entrée par le haut, comme un oiseau. « C’était plus facile par là », avait-elle dit en guise de justification, comme une évidence. « D’en bas, quand je te regardais, ta citadelle était triste, austère, noire. Mais j'étais sûre que dedans, ce serait différent ».

« Comment pouvais-tu en être sûre ?  avait-il demandé. Tu sais si peu de moi. Si tu tombais dans des oubliettes ?... Si je t’y jetais ?... »

-C’était le risque à prendre.

-Pourquoi l’avoir pris ?

-A cause des papillons.

-Les papillons ?

-Les ailes fermées, vus d'en bas, ils sont tristes et ternes, comme toi. Mais quand ils les ouvrent… c’est un paradis, une explosion de formes et de couleurs, une pyrotechnie permanente.

-Qui te dit que j’ai des ailes ?

-Rien. Je suis venue voir...

-Et alors ? Tu es déçue ?

-Pas du tout. J’ai trouvé mieux que ce que j’espérais.

-Ah oui ? Quoi donc ?

-Toi. Le vrai toi. »



L'autre côté

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Un site internet démoli, 20 ans de travail pulvérisés, deux ordinateurs grillés, un volet cassé, quatre caries détectées (alors que je n'en avais plus depuis des années) et, depuis 8 jours, la grippe. Heureusement que je ne fais pas de voeux de bonne année, sinon, je penserais m'être trompée de formule ou, pire, n'avoir pas été entendue.

Pourtant, je pense que la vie m'entend. Je vais même plus loin : je pense qu'elle m'aime et veut le meilleur pour moi. En ce début 2025, est-ce que j'en suis encore si sûre ?

Eh bien, je n'ai aucune preuve absolue que ce soit vraiment le cas... mais, quitte à croire en quelque chose, même faux, je préfère croire qu'elle m'aime. Quel intérêt de ressasser que la vie m'exècre et prend plaisir à me bastonner ?

J'ai eu un ami qui, lui, en était persuadé. Il ne cessait de lui arriver malheur : il tombait dans les escaliers, se faisait renverser à vélo, était déçu ou trahi dans ses relations... Je comprends que, suite à des discours qui ont imprégné notre enfance, suite à une série d'événements contraires ou même dramatiques, on finisse par nourrir la croyance que la vie nous déteste, qu'on n'a pas droit au bonheur, qu'on est là pour en baver. J'ai plus de mal à comprendre qu'on puisse la cultiver. Comment vivre heureux sur une telle toile de fond ?

Peut-être que finalement, la vie n'est ni aimante ni méchante, qu'elle est juste impartiale, factuelle, neutre. Alors, autant accueillir ce qui vient avec la même neutralité. C'est ce que je m'entraîne à faire. C'est là. C'est arrivé. Je ne peux pas le changer. Maintenant, qu'est-ce que j'en fais ? 

Passés la contrariété, le stress, l'énervement, passés le ras-le-bol et le découragement, je constate que ce début 2025 me fait aussi voir et réaliser tout ce qui va bien dans ma vie. La grippe passera. J'ai les moyens de me soigner, de faire réparer le volet, de remplacer les deux ordinateurs. Des gens compétents se mobilisent pour m'aider. J'ai peut-être trouvé un meilleur endroit pour recréer un meilleur site internet, plus lisible, plus léger, plus beau et, en prime, totalement gratuit.

Janvier m'a offert des scènes d'hiver féérique comme nous n'en avions plus depuis longtemps, des paysages givrés, ciselés, nacrés de rose, des festins d'oiseaux autour des mangeoires sur le balcon, et bientôt les dix-huit ans de mon grand, ce magnifique garçon qui se transforme peu à peu en homme. Aurais-je pris le temps de m'arrêter sur tout cela si j'avais eu la tête dans le guidon ? Si les circonstances ne m'avaient pas intimé : "Arrête-toi ?" Je repense à ce texte écrit il y a longtemps (2014) pour quelqu'un d'autre...

Alors, non, c'est vrai, je ne peux pas affirmer avec certitude que la vie m'aime, nous aime.

Je préfère simplement le croire, parce que ça rend mon passage ici plus doux, plus léger,  parce que ça lui donne plus de sens, et aussi parce que ça me donne plus envie d'être là, de m'investir dans ce que je fais, d'être présente pour les autres, de créer du beau, du lien, du vivant.

Et à bien y réfléchir, vraie ou non, je trouve cette raison suffisante.

 

 

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