Feu

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Il est un feu brûlant qui ne laisse pas de cendres
Quand on le croit éteint, il prépare l’étincelle
Sa flamme se ranime et repart de plus belle
Et, en butte aux obstacles, monte au lieu de descendre
 
Il est un feu brûlant qui vous touche à pierre fendre
Vous laisse atteint au cœur le plus pur de votre âme
Pénètre vos zones d’ombre plus profond qu’une lame
Et sans douleur vous sonde, aussi patient que tendre
 
Il est un  feu aimant  à ne rien y comprendre
Qui vous fond en douceur d’un élan continu
Qui plus il vous laisse nu, vous porte haut dans les nues
Et ne sait que donner, sans rien forcer ni prendre
 
Si son brasier vous touche, nul doute, vous le saurez
Une joie sans raison vous flambera comme une torche
Vous serez l’huile, le feu, la bougie et la mèche
Dedans incandescent, dehors chaud sans brûler

Ce feu a mille visages, dix mille noms, cent mille bras
Que vous soyez flambeau ou que vous le passiez 
Que vous l’ayez perdu ou que vous l’attendiez
Si vous le désirez ardemment, il viendra
 
Car il vise plus juste qu’une parfaite arbalète
Car sa flamme vive en vous démultiplie la vie
Car sa vigueur ouvrant votre chair comme un fruit
Vient se ficher tout droit au noyau de votre être
 
Et irradie en vous des pieds jusqu’à la tête
Ne laissant plus de vous rien qui ne soit à lui. 

Sylvie PTITSA

in "Des nouvelles des éléments",

éditions Seepia, 2018

 


 

Côte à côte (19)

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 Côte à côte (19)

 

Le dimanche, c’est le jour que la plupart des gens attendent avec impatience. Pas moi ! Car le dimanche, c’est le jour de la sacro-sainte messe… Si encore il n’y avait que la messe !!... D'abord, adieu, grasse matinée, je me lève plus tôt que tous les autres jours de la semaine  :  si je veux avoir ma chance à la salle de bains, je dois doubler le défilé des Miss Italie de la famille. Unique pic de testostérone parmi quatre pics d'ovulation encore plus ou moins actifs (ma mère, ma soeur et mes deux tantes, Pia et Paola, qui dorment à la maison dès le samedi soir « pour gagner du temps sur le trajet »), j’ai intérêt à les prendre de vitesse devant le miroir, sinon, il ne me restera quelques nano-secondes avant le top départ.

 

Ensuite, après les costumes et le maquillage, pour se joindre au spectacle, il faut un trajet en carrosse avec la smala endimanchée au grand complet. Ma sœur au volant, une terroriste de la route, ma mère sur le siège passager, parce que ses fesses ne rentreraient pas à l’arrière, et moi coincé en otage entre les deux talibanes de la vertu qui me cassent les oreilles de leurs commérages cacardants pendant tout le trajet… bon dimanche et bienvenue sur Radio Ragots !

 

Quand je les regarde de près, je me dis que plus les femmes sont vieilles, plus elles se tartinent de trucs sur la tronche pour cacher leurs défauts, et moins ça marche. Au mieux, elles ressemblent à des momies ; au pire, à des psychopathes scarifiées. Tant de temps à la salle de bains pour si peu de résultat ! Dans une entreprise, avec un tel rendement, on les jetterait direct. Si seulement j’étais chef d’entreprise !...

 

J’envie mon frère Giulio qui a obtenu la permission de quitter le clan des soutien-gorge et de se prendre un studio en ville depuis qu’il travaille. Il a sa propre salle de bains, pour lui tout seul, quel luxe ! Mais il ne veut pas que j’aille dormir chez lui, parce qu’il est rarement seul sous ses draps. Il nous rejoint donc en scooter à l’église, souvent mal peigné, dépenaillé et mal rasé, comme s’il venait de sortir du lit (ce qui est sûrement le cas), ce qui fait hurler ma mère de rage et tartailler mes mitraillettes de tantes encore plus.  Ratatatatatata, à fond les tatas !

 

On pourrait aller à pied à l’église du village, mais non, ce serait trop simple. C'est tellement plus fun de nous entasser tous dans la Fiat Mini de ma sœur et de nous farcir 20 km de routes de montagne, minces et enroulées comme des spaghetti, pour aller suivre la messe dans le village natal de ma mère, (parce que c’est là qu’elle est toujours allée et qu’elle ne veut pas en changer), en essayant de ne pas vomir dans les virages que notre terroriste du volant attaque avec une détermination de kamikaze. Les seules fois où on échappe à la mort, si on a de la chance, c’est en hiver, quand la route est barrée. Merci congères, verglas, avalanches !...

 

Une fois arrivés à l’église, plus morts que vifs, on a un besoin urgent du Ressuscité, c’est sûr ! Commence alors le grand gala du dimanche, avec le type en robe brodée qui balance sa lampe qui fume entre deux chansons et passe son temps à nous faire lever, asseoir, mettre à genoux, relever, réasseoir, remettre à genoux… dans une choré digne d’un exercice de fitness pour abdos-fessiers. Bizarrement, là, plus personne n’a mal à ses rhumatismes pour exécuter les mouvements à la perfection, et personne non plus n’accuse le transsexuel de nous imposer son tabagisme passif quand il danse au milieu du public en extase avec son fumigène puant. C’est la giga-teuf officielle, la Curé-Pride hebdomadaire, la rêve-party du Crucifié en gloire, star de la matinée dans son costume minimaliste, clou et clouté du spectacle dominical.

 

Mais le pire, dans ce show, ce ne sont pas les danses ni les costumes, ce sont les lyrics de la comédie musicale. Ca ne parle que de souffrir, de se sacrifier, de saigner, châtier, agoniser, expier. Le scénario biblique, (l'Ancien Testament en particulier), c'est plus trash que Terminator et Le Silence des Agneaux remixés. Justement, il y a un solo rituel de l’Agneau Immolé, à côté duquel les récits de l’Aïd par mon pote Mohamed sont des contes pour enfants. Quand je pense qu’on a essayé de faire rentrer toutes ces conneries dans mon crâne depuis que je suis petit... heureusement que j’ai la tête dure ! On est au 21e siècle, mais dans les villages de montagne de l'arrière-pays, le passé a tellement pris racine qu’il faudrait dynamiter la roche pour lui faire lâcher prise, comme pour y amener l'électricité…

 

Le seul bon moment de ces dimanches pourris, c'est entre la fin de la messe et le déjeuner en famille, quand on passe voir le Nonno à son hôtel pour vieux. Ils l’ont collé là depuis qu’il ne pouvait plus se déplacer seul, même avec l'aide de son déambulateur... il avait pourtant bien réagi et montré ses réflexes dans l'accident avec le randonneur ! Moi, j’aurais préféré qu’on le garde à la maison, j’étais même prêt à m’occuper de lui. Mais j’avais mes cours, les autres travaillaient, et les tantes ne voulaient pas d’un homme chez elles (de toute façon, même l’hôtel pour vieux est mieux que vivre chez mes tantes). Le personnel a l’air gentil, mais les chambres sont si petites, et surtout, Nonno n’a plus aucune liberté : il doit tout faire en même temps que les autres vieux, c’est devenu un esclave des horaires, lui qui les avait royalement congédiés depuis sa retraite bien méritée. Je vois bien qu’il n’est pas heureux, même s’il ne dit rien. De toute façon, même s’il le disait, qu’est-ce que ça changerait, hein ?...

 

Alors, voilà à quoi mène tout ce blabla catho, le message du type aux épines, le bon Samaritain, l’aide au prochain, tout ça... On participe au grand show du dimanche, on critique son voisin et on se débarrasse de ses proches quand ils deviennent gênants. Si on avait voulu me rendre athée, on n’aurait pas pu mieux s'y prendre. Fuck l’Eucharistie !

 

En tout cas, moi, c’est décidé : l’an prochain, je passe mon permis, je cherche du travail comme Giulio, je me barre en ville, je boycotte la messe et surtout, surtout, chaque jour que Dieu fait, j'irai voir mon Nonno !


 

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Côte à côte (18)

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 Côte à côte (18)

 

C’est fou comme tout est identique. Même plage, mêmes touristes, mêmes parasols, même « carte postale ». Même lumière, mêmes odeurs, mêmes lignes parallèles et perpendiculaires, même « repère orthonormé », je me souviens l’avoir pensé en ces termes… Est-ce que les mêmes gens reviennent ici année après année ? Peut-on trouver du plaisir à passer son temps libre toujours au même endroit, avec les mêmes personnes, à faire les mêmes choses ? C’est un mystère pour moi. La surimpression temporelle est dingue : je suis propulsé un an en arrière à partir du présent, rien n’a bougé, je me croirais dans un musée de statues de cire.

Même ce vieux chien noir, là, près du transat, au pied du parasol jaune, il me semble qu'il était déjà là. Est-ce qu’il ne surveillait pas, déjà, les mouvements des serveurs à l’intérieur du Velazzura, à l'affût de restes alléchants ou d’un bon os à moëlle ? Lui aussi est statufié ? Ou est-ce que les touristes, les étés, se ressemblent tellement qu’on ne décèle pas de différence d’une année à l’autre ? En tout cas, l'effet flash-back est sidérant, d’autant plus que j’ai eu le temps d’en ressasser les derniers détails….

Je venais de passer cette plage aux parasols jaunes et de bifurquer vers le centre-ville, chaussures aux pieds, sac au dos, quand j’ai croisé un vieil homme courbé sur son déambulateur, soutenu par un jeune garçon, son petit-fils peut-être. Le trottoir était étroit, je me suis écarté pour leur céder la place, songeur : ça aurait pu être moi ce vieil homme, si je n’avais pas eu la chance d’avoir la solide santé de ma mère, presque centenaire, encore autonome… Crac ! Mon pied rippe dans un bruit d'os contrariés sur le bord du trottoir, ma cheville ploie, le poids du sac m’entraîne vers l’avant, je m’étale de tout mon long devant le déambulateur.

C’est l’autre papy qui a eu le bon réflexe : il a pilé à temps pour ne pas trébucher sur moi et ajouter sa chute à la mienne. Je me relève, grimace, baragouine dans un italien approximatif que ça va aller, je vais repartir, le gamin me tend mes lunettes, qui par chance ne sont pas cassées, … et non, ça ne va pas : je ne tiens plus debout, je ne peux pas poser le pied, encore moins marcher. Entorse sévère à la cheville gauche. Ambulance, soins, rapatriement, retour à Dijon. L’accident top con du pèlerin crétin. Tu annonces que tu pars pour un périple de plusieurs milliers de kilomètres, tu rentres sur un brancard au bout de quinze jours à peine. C’est ce qui s’appelle se vautrer, au propre et au figuré…

Histoire de faire contre mauvaise fortune bon cœur, je profite de mon immobilisation pour aller consulter un dermatologue au sujet d’un petit psoriasis qui me gratouille au creux du coude. Deuxième coup dur : ah, ce n’est pas un petit psoriasis, mais un potentiel cancer de la peau. Prélèvements, analyses… C’est bel et bien, ou plutôt moche et bien, un cancer de la peau. Pas grave, pas très avancé, mais il faut traiter : inciser, retirer les cellules cancéreuses, suturer, laisser cicatriser, surveiller en cas d’éventuelle récidive. Et bien sûr, surtout, éviter le soleil. Je pensais repartir au bout de quelques semaines, à l’automne, quand ma cheville serait rétablie et qu’il ferait moins chaud. Finalement, avec ce cancer, j’aurai mis un an.

Autant dire que cette année, j’y vais en manches longues, par toutes les météos, et surtout à fond. J’ai assez attendu, assez rongé mon frein, assez pensé à tout ce que je pourrais oublier de mes projets, de mes voyages, si jamais mon chemin s’arrêtait là. Le champ des possibles rétréci comme une peau de chagrin, jusqu’au point final, jusqu’à l’immobilité du marbre. Cette année, cap sur Venise, je pars sur la route de la soie direction Samarcande, comme j’en rêvais l’année dernière, et je remonte encore plus loin, jusqu’à la Chine. Ca prendra le temps que ça prendra. Je n’ai plus celui de différer mes rêves.

 

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Côte à côte (17)

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 Côte à côte (17)

 

« Je l’aime Emilio, je t’assure que même après cinquante ans de mariage, je l’aime comme au premier jour ! Mais sa cuisine, Santa Madonna ! Sa cuisine !!!...

-Arrête de faire l'acteur, tu déjeunes chez moi un jour sur deux. Tu ne subis pas tant sa cuisine que ça.

-Tu crois ça ? Tu ne sais pas tout ! Le soir, elle me ressert les restes du midi au lieu de cuisiner quelque chose d'autre !

-Pourquoi ne pas cuisiner toi-même ? Tu le faisais bien avant votre rencontre ! Et tu étais même bon cuisinier, dans mon souvenir !

-Je suis fatigué… Elle est plus jeune, elle a l’énergie pour ce genre de choses, non ? Elle ne s’en sortait pas trop mal au début de notre vie commune...

-Si on met de coté que tu refusais de manger autre chose que des pâtes. Ce qui laissait peu de place à sa créativité française…

-Mais les pâtes, c’est ultra-créatif au contraire ! Il y a cent mille façons de les accommoder ! Ca se mange avec tout !

-Si on met de côté que tu étais choqué qu’elle ne cuisine pas les bonnes pâtes avec la bonne sauce… et que tu en faisais tout un plat à chaque fois...

-Mais enfin, Emilio, ce n’est pas à toi que je vais l’apprendre : chez nous, le type de sauce dépend du type de pâtes ! Toi-même, tu ne fais aucune erreur sur ce point !

-Je ne fais pas d’erreurs parce que je connais ton intégrisme en la matière ! Crois-moi, quand je suis seul, je ne m’embarrasse pas de tant de scrupules...

-C’est l’avantage de vivre seul !

-Il y a aussi des inconvénients… et puis, si tu n’aimes pas ses pâtes, pourquoi ne pas la laisser te faire un pot-au-feu, une choucroute, une côte de bœuf... ?

-Mais parce que c’est plein de légumes ! Du vert, encore du vert, encore et toujours du vert ! Vert le chou de la choucroute, verts les poireaux du pot au feu…

-… et vertes les frites avec la côte de bœuf ??...

-Elle ne fait pas de frites ! Elle fait des pommes de terre sautées et des brocoli ! Encore du vert ! Je suis cerné, je te dis ! Et là, on est en été : la pleine saison des haricots… et des salades !! Elle prétend qu’il fait trop chaud pour cuisiner. Si je l’écoutais, on mangerait tous les jours des feuilles, et avec ses manies de Francese, elle serait capable de vouloir me faire gober les escargots avec !

-Tu exagères, comme toujours !

-Pas du tout ! Sais-tu que pas plus tard qu’avant-hier, elle a refusé de cuisiner des lasagnes parce qu’il fallait allumer le four ? « Ca va chauffer encore plus l’appartement », qu’elle disait ! « Fais-les toi-même si tu en as tant envie ! De toute façon, les pâtes, c’est ta spécialité, tu as le patrimoine génétique pour ça, vas-y, fonce ! !...»

-Elle se trompe ?

-Non, bien sûr que je suis le meilleur pour les pâtes, pas besoin de se référer à la génétique pour le savoir ! Mais c’est à elle de me faire à manger ! C’est ma femme, non ? Et elle est jeune !

-Si tu voulais une femme docile, il ne fallait pas la prendre jeune, et encore moins française ! Ils ne savent faire que la Révolution, leur histoire est bourrée de guerres et de coups d’Etat !

-C’est vrai ça, pourquoi suis-je allé pêcher une Française, alors qu’on avait tant de filles gentilles chez nous ?

-Ce n’est pas plutôt elle qui t’a pêché ?...

-Si, j’avoue, mais… à l’époque, c’était moins compliqué ! Sa cinglée de copine vegan n’avait pas encore jeté la zizanie dans notre couple !

-C’est surtout qu’à l’époque,  c’est toi qui cuisinais pour elle… vous aimiez même ça !

-Mais oui, c’était plus simple ! On riait ensemble dans la cuisine, on préparait les plats en s’embrassant par-dessus la table. Je lui disais quoi faire, elle suivait mes consignes, je dirigeais la recette comme on mène une danse....

-En fait, c’est ça qui ne te plaît pas  : en cuisine, maintenant, c’est elle qui prend les décisions et les initiatives ! Elle "porte la culotte", comme on dit dans leur langue...

-Je préférais quand elle portait des jupes… ou pas de culotte !!

-Tais-toi !! Si Pia t’entendait, elle dirait encore que tous les hommes sont des obsédés, des vicelards !

-Aimer le plaisir, savourer la vie, c’est être un vicelard ? C’est Pia qui est prude, cette bigote médisante, plate comme une limande !

-A propos de savourer, que dis-tu de mes spaghetti alle vongole ?

-Ils sont fameux, comme toujours… tu crois que je pourrais revenir ce soir ? Si je fais abstraction des menus, dans notre couple, c’est l’entente parfaite ! Tu pourrais nous sauver ! Je resterais son mari, je mangerais juste chez toi...

-Elle validerait cet accord tripartite, ta frondeuse française ?

-Hum… Elle pourrait avoir envie d’aller manger ailleurs, elle aussi…

-Avec un plus jeune !...

-Et si tu me donnais une portion à emporter pour mon repas du soir ?...

-Pourquoi je ferais ça ? Je n’ai pas envie de me brouiller avec ta femme, moi ! Elle serait capable de me défoncer le crâne avec la poêle où elle frit ses grenouilles !

-Aaargh, ne me parle pas de ça ! Les cuisses de grenouilles ! En plus, elle y met plein de persil (comme pour les escargots) : encore du vert !!

-Je maintiens que la meilleure option serait que tu repasses derrière les fourneaux et re-cuisines toi-même ce qui te fait envie. Tu serais plus libre des…  couleurs de ton assiette.

-Tu n’as pas de meilleure nouvelle ?

-Si ! Giana a enfin obtenu gain de cause pour son amoureux. Le procès a été révisé, il a été blanchi et acquitté ! Il sort de prison bientôt.

-La brave petite ! Ses efforts ont payé ! Comme elle doit être heureuse ! Elle le mérite ! Tout ça parce que l'autre véreux de patron a voulu rendre le jeune coupable de son escroquerie, profitant du fait qu'il était inexpérimenté et étranger.... On ne sait d’ailleurs pas où est partie récidiver cette crapule… sûrement un peu plus loin sur la Côte ! Ce ne sont pas les crédules qui manquent, malheureusement...

-Et Angelo a retrouvé du travail dans une autre agence, pas très loin d'ici. C'était inespéré après le scandale de l'année dernière qui avait éclaboussé son affaire.

-Où ?

-Alassio, je crois... Ou Albenga ?... Enfin, ce secteur-là.

-Il a bien fait de démissionner. Son associé était une véritable ordure. On sait où il est, lui ?

-Pas que je sache.

-Tu as appris tout ça sur le marché ?

-Oui, en vendant ma pêche…

-Et Tekle ? Des nouvelles ?

-Aucune…

-Et…

-Je sais ce que tu vas me demander !

-Quoi donc ?...

-Si je suis allé chez la quincaillère !

-Pas du tout ! Je voulais… savoir avec quel blanc tu cuisines tes vongole !

-Pas à moi, mon vieux, on se connaît trop bien !

-Bon, bon, d'accord... Alors, la quincaillère ? Tu l'as vue ?...

-Je te le dirai si tu te remets à la cuisine !

-C’est un complot avec ma femme ?!?

-Non, un conseil d’ami pour la paix des ménages ! Je l’aime bien, ta femme !

-Facile, toi tu ne subis pas sa cuisine !! »


 

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Côte à côte (16)

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 Côte à côte (16)

 

Tekle est parti. C’est dommage, je l’aimais bien, ce gamin. A force de se saluer de loin, on avait fini par sympathiser, même sans se parler beaucoup. On avait tissé une relation discrète, silencieuse. Il a disparu du jour au lendemain, sans me dire au revoir. Comme ma femme… La vie est trouée d’imprévus. On fait son maximum pour la plier, la forger, lui donner une forme, un sens, mais en définitive, on ne contrôle pas grand-chose…

 

Il paraît que le gamin aurait pris la direction de la France. Trop  compliqué de faire venir sa famille ici : le climat politique n’y est pas propice… Au vu des dernières élections chez nos voisins, pas sûr que la France se montre plus hospitalière que l’Italie pour les Erythréens, pour les étrangers en général…

 

Dire que ça fait déjà un an… Un été a remplacé l’autre, certains touristes ont disparu, d’autres sont revenus, les habitués côtoient les nouveaux arrivants, et au village, la vie suit son cours : Gepetto déprime en espérant le retour de son fils, toujours porté disparu en mer, l’accident de la gelateria Rosanna demeure inexpliqué, mon meilleur ami  me supplie de l’inviter à déjeuner quand sa Française de femme lui prépare des trucs bizarres (surtout s’ils sont verts), Domenico me taquine sur mes rêves romantiques dignes d’un feuilleton américain (« Emilio, seriosamente ?! ») … et nous n’avons jamais su, finalement, qui avait gagné le pari au sujet de l’idylle du type en chemisette et de la petite touriste du front de mer, car nous ne les avons pas revus.  Domenico continue à penser que leur histoire a fini avec l’été, moi qu’elle a eu un hiver, et peut-être même un printemps : on ne se refait pas !

 

A l’entrée du port, mes lignes trempent toujours, moins à l’affût du goujon que des nouvelles du village… mais pas ce matin ! Car ce matin, c’est jour de marché, et en bon cuisinier, j’aime acheter et choisir mes produits moi-même. Flâner parmi les étals, humer les senteurs mélangées, caresser la rondeur des tomates, choisir les olives, saluer les amis, acheter le fromage et la charcuterie à la coupe, imaginer déjà la variété des plats possibles, laisser traîner dans les allées mes oreilles, comme mes lignes, au cas où une conversation savoureuse y mordrait, frétillante d’une nouveauté toute fraîche… et justement, ce matin, le marché complet ne parle que de ça : la nouvelle quincaillerie qui vient d’ouvrir Via Garibaldi, juste à côté de la gelateria Rosanna, là où, l’année dernière, s’est produite la fonte inexplicable de toutes les glaces, jusqu’en pleine rue. Mais ce n'est pas tout : la nouvelle boutique est tenue par une FEMME. Et, pour achever de jeter de l’huile sur le feu et de l’excitation dans les esprits, elle n’est pas d’ici ! (D’où exactement, on ne sait pas, mais pas de chez nous, c’est sûr !).

 

Au pied des étals, entre clients et commerçants, les commentaires fusent :

« Une femme dans une quincaillerie ! Mais qu’est-ce qu’elle y connaîtra !

-Vous êtes sûre qu’elle n’a pas de mari ? Elle ne s’occupe peut-être que de la caisse, et lui du conseil aux clients? Non ?... Ou alors un cousin, un frère, un fils, un oncle ?... Un grand-père ??...

-Rien du tout, je vous dis ! Pas l’ombre d’une paire de couilles derrière son comptoir.

-Et qu’est-ce qu’elle vend, l’incompétente ?

-De tout ! Enfin, de tout ce qu’on trouve habituellement dans une quincaillerie.

-Il paraît qu’elle a même des tondeuses à gazon !

-Et des filtres à particules !!

-Hein ? Mais ça n’a rien à faire dans une quincaillerie, ça !

-Eh ben, elle en a ! C’est Claudio qui me l’a dit, il les a vus !

-Elle a de beaux outils aussi, allez !

-Que voulez-vous dire ?

-Vous avez vu son décolleté ? Ce n’est pas légal, une devanture pareille !

-Et ses fesses ? Ce sont des vraies à votre avis ? Ou une publicité triomphale pour la chirurgie ?... »

(Pia et Paola, nos Mitraillettes locales, se sont mêlées à la discussion : immédiatement, les propos ont pris un tour plus… offensif).

« Elle ne tiendra pas, c’est sûr. Je lui donne six mois pour faire faillite !

-Elle pourra toujours se recycler en vivant de ses charmes… enfin, de ses formes ! Peut-on parler de charmes quand ça déborde autant des mains d'un honnête homme ?

-Eh, planche à pain, tu es jalouse ! Certains hommes les aiment rondes ! La plupart des hommes, même, et tant pis pour les top models !

-A voir le défilé de couillus qui passe la porte de la quincaillerie depuis son ouverture, il semble que l’importée possède de bons arguments de vente…

-Mais non, voyons, c’est juste de la curiosité !

-Tout dépend où tu places la curiosité ! Tu connais les hommes, non ? Ceux du village comme ceux de n’importe où !

-Je rigolerais qu’elle soit lesbienne, tiens ! C’est tellement à la mode, maintenant, que ça lui vaudrait peut-être un sponsor !

-Tu dis n’importe quoi, les quincaillers n’ont pas de sponsor ! Ce sont les sportifs !

-N’empêche que c’est louche qu’elle n’ait aucun homme dans son entourage ! C’est sûrement une femme de mauvaise vie, si elle les fait fuir !

-Les femmes de mauvaise vie les attirent comme des mouches, au contraire ! Tu sais bien que tous les hommes, jeunes ou vieux, sont vicieux !

-Dites-moi Paola… »

(C’est la Française qui parle, celle qui cuisine des trucs bizarres…)

«  …à quand remonte le dernier moment que vous avez passé avec un homme, mmmmh ?... Dites, monsieur, vous auriez des épinards frais ?...

-Encore des trucs verts !!! » 

(Là, c’est son mari...).

« Tu ne peux pas cuisiner des pâtes, comme tout le monde ?

-Amore, les pâtes et les gnocchi, tu les cuisines mieux que moi ! Veux-tu passer en cuisine et t’occuper du déjeuner ? Ce sera une bagatelle, nous ne recevons que vingt personnes… dont une allergique au gluten, une qui mange sans lactose, une qui refuse le fromage, une vegan pure et dure et…

-Ah non ! Dis-moi que tu n’as pas invité ta copine démente, la niçoise ??!

-Tu as bien invité ton cousin hypercholestérémique, à qui il faut tout cuisiner sans sel, sans crème et sans beurre ... ?

-Mais ce n’est pas pareil ! C’est une maladie, le cholestérol, ça ne se choisit pas ! Ce n’est pas une lubie alimentaire !

-Nous maîtrisons à fond le sujet, mmmh ?... Donc, pas d’épinards ? Quelle alternative « non verte » proposes-tu ?

-Je vais à la quincaillerie !!!!

-Ce n’est pas là-bas que tu trouveras des pâtes !!! Et je te rappelle notre accord : celui qui cuisine décide du menu !!

-Les Françaises sont encore plus impossibles à vivre que les Italiennes, ma parole !

-Il fallait y réfléchir avant !

-Et voilà, la quincaillère a gagné un nouveau client… tout ça à cause des épinards !, commente Pia, ravie.

-Allez, les épinards n’y sont pour rien ! Les responsables, ce sont ses seins !! »

 

Voilà pourquoi j’aime le marché. On y sert des tranches de fromage, des tranches de jambon et des tranches de vie. Je suis resté hors de la conversation, mais j’ai ri à m’en tenir les côtes.

 

Grâce à l’ambiance du marché, à cette immersion dans la foule, le bruit, la vie quotidienne des autres, j’oublie aussi un peu ma nostalgie de ma femme… et mon envie d’en retrouver une. Voilà qui plaira à Domenico. Je me demande ce qu’il pense de la quincaillère ?... » 


 

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