Côte à côte

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Je poursuis mon voyage en images le long des côtes italiennes. Si vous avez envie de découvrir plus avant la Ligurie, je vous conseille cette vidéo du magazine français "Echappées belles" et, en italien, le blog "Foto Vagabonde" d'Emanuela, passionnée de sa région, qui nous la fait découvrir pas à pas.

Pour cette nouvelle photo, j'ai écrit deux textes très différents. Je trouvais intéressant de garder le même visuel et le même titre, la même forme littéraire aussi (nouvelle dont le narrateur s'exprime à la 1e personne) tout en explorant deux possibilités presque opposées. Je vous laisse découvrir en cliquant sur les 2 titres, sous la photo ! 


Côte à côte

 Côte à côte (1)

Côte à côte (2)

 

Côte à côte (2)

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Côte à côte (2)

 

Voyons, voyons, qui va s’installer à côté de moi aujourd’hui ? Hier, ce n’était pas mon jour de chance. Le matin, j’ai eu Moquette, un habitué poilu du dos à s'y sécher les pieds. Il vient en général accompagné de son fils, que j’ai baptisé Tapis de bain. Je verrai en fin de puberté si je dois adapter son surnom à sa pilosité définitive. En sandwich entre eux deux, c’est sûr, on doit se sentir comme dans un sac de couchage inuit fourré ours polaire. Ils ont squatté leur chaises longues tout le matin, même pas mis le bout d’un orteil dans la mer. Et léché des Eskimos, en prime.

 

Après eux, j’ai eu une nouvelle, une dame charnue qui a passé l’après-midi à l’ombre à se tartiner de crème solaire et à se retourner sur son pliant en poussant de petits cris et des soupirs un peu rauques dont je n’ai pas pu identifier si c’étaient des ronflements : son visage bouffi disparaissait aux trois quarts sous un gigantesque chapeau de paille, plus proche du sombrero que du canotier. A voir la couleur de sa peau, peut-être une de ces Anglaises qui virent en quelques heures au vanille fraise, quand ce n’est pas au vanille framboise ou vanille cassis, suivant l’indice de leur crème solaire et la fréquence du tartinage. Avec ses bourrelets huilés et ses couinements poussifs, elle me faisait penser à un phoque. Ou alors, c’est une de ces Bavaroises aux fesses aussi mafflues que celles de leurs vaches. Non, elle n’a pas commandé de bière de l’après-midi. Donc, pas une Hollandaise non plus. Je penche pour une Flamande ascendant otarie. Une Viking croisée pinnipède (ses pieds étaient affreux, en plus, avec des ongles cassants, mal taillés, mal vernis… une horreur !). Une walkyrie de lignée morse, ou éléphant de mer.

 

C’est incroyable, quand même, comme je voyage et découvre les cultures sans quitter ma place. J’ai déjà fait, au moins, le tour du monde. On ne s’ennuie jamais quand on… ah ! L’aubaine ! Mazette ! Gloria ! Aujourd’hui, c’est Byzance ! Une Italienne, une vraie ! Soignée, maquillée, coiffée, épilée jusqu’au maillot, super bien roulée, en plus ! Je vais m’en mettre plein les mirettes avec son bikini rikiki, et recto verso : le bas est un string ! Waouuuuuuh ! Alleluia ! Revers de fortune ! Tous les saints sont de mon côté, ou tous les seins, enfin, surtout les siens ! Madonna mia ! Quels melons ! Quelle pulpe ! Je vais veiller sur elle, raide comme un garde du corps, droit comme un i. Je vous le disais : il faut se montrer patient, mais on ne s’ennuie jamais à la plage. Rien de plus excitant qu’une vie de parasol !

 

Côte à côte (1)

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Côte à côte (1)

 

Le matin, la plage est encore calme. C’est mon moment préféré de la journée. Les pêcheurs silencieux observent la vie du quartier depuis la jetée tout en surveillant leurs flotteurs du coin de l’œil. A bord de son petit bateau blanc, dont le sillage, momentanément, coupe à angle droit l’eau tranquille, Luigi rentre de sa sortie matinale. J’arrange les chaises longues et les parasols jaunes et blancs dans un alignement impeccable, digne d’un défilé militaire un jour de  fête nationale. J’y mets un soin particulier, parce que j’aime le travail bien fait, mais aussi parce qu’il y a quelque chose de rassurant à cet ordre parfait, à cette sérénité que rien ne trouble, pas même les cris des oiseaux de mer. Les clients de l’hôtel vont à l’espace wellness, la plupart préfèrent l’eau douce de la piscine et la proximité du sauna à l’eau salée, mêlée de sable et d’algues, qui poisse la peau.

 

La plage, au matin, est mon espace wellness. L’espace où, quelques précieux instants, réfugié dans une bulle en apesanteur dans l’air marin encore doux et frais, je m’offre un soin délassant de torpeur béate hermétiquement close. Là, j’oublie ceux qui sont tombés du bateau. Ceux restés au pays. Ceux parqués au centre de rétention. Ceux tombés aux mains des passeurs sans scrupules, ceux qui attendent la rançon de leur famille pour sortir des geôles de leurs tortionnaires. Moi, j’ai la chance d’être sain et sauf, d’avoir pu trouver du travail ici. Au noir, comme ma couleur de peau, celle qui ne plaît pas à certains clients de l’hôtel qui s’adressent à moi sans respect ou m’ignorent délibérément, me préférant le personnel maghrébin basané mais moins « foncé ». Que m’importent le mépris, les vexations ou même, parfois, les insultes ? Je suis vivant. J’ai rallié un pays libre où je profite, chaque matin, de mon espace wellness privé. A la fin du mois, je pourrai envoyer un peu d’argent à la famille et, si Dieu veut, ils viendront me rejoindre ici un jour. Ils quitteront, un à un, l’enfer de feu, de fer et de sang qu’est l’Erythrée. Je salue la grâce de pouvoir danser sur la corde raide, même si c’est sans filet, plutôt que d’avoir dû me la passer au cou pour me pendre.

 

 

29.06.23

Inspiré de l'article Ils en parlent – Voyage en barbarie (wordpress.com) (âmes sensibles, s'abstenir !)

Heureusement, il y a aussi LIMBO – RÉPARER LES SURVIVANTS (limbo-asso.com)...

 

Lontano (loin)

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L'imaginaire est la plus belle des agences de voyage. On part pour n'importe où dans le monde (ou même hors du monde !), n'importe quand, le temps qu'on veut, aussi souvent qu'on veut. Pas de frais, pas de valises à l'aller, pas de linge sale au retour, pas de formalités administratives, pas de vaccins, pas d'embouteillages, pas de mal des transports, pas de trains en retard, pas de vols annulés, pas de pick-pockets, pas de gêneurs, pas de malotrus (sauf si on décide qu'on en veut pour pimenter l'aventure). Je ne m'en lasse pas. Je suis époustouflée par ce cadeau magique, illimité, inépuisable.

Hier, je republiais un ancien texte né d'un vrai voyage. Dans la soirée, j'ai regardé une vidéo sur la Ligurie, où je ne suis jamais allée. Ca m'a donné envie de m'y rendre par l'imaginaire. J'ai pêché une photo sur Internet et voilà ce qui est sorti.

 

Photo : Marek 7400 - www.expedia.fr

 

On s’était promis qu’un jour, on irait sur le rocher ensemble, tu te souviens ? A la nage, à la rame, avec nos bouées ou sur une embarcation de fortune, en yacht si on devenait riches, en canot à moteur ou en pédalo… On s’en est pris des roustes à tenter d’y accoster encore et encore, parfois au péril de nos vies ; on s’en est cogné des dimanches consignés dans notre chambre pour avoir de nouveau tenté l'aventure.

 

Si loin que remontent mes souvenirs, le rocher a toujours été le point de convergence de nos rêves, le creuset de nos fantasmes les plus fous.

 

Enfants, nous nous projetions, pirates, dans ses criques déchiquetées pour y enfouir notre trésor, bravant les squales ; nous débarquions sur ses plages étroites en explorateurs intrépides pour finir ligotés à une broche par des cannibales ; nous nous jetions de liane en liane dans la jungle intérieure qu’il ne pouvait manquer d’abriter, cachée dans le cratère d’un volcan ou dans une cavité souterraine luxuriante.

 

Adolescents, il a accueilli nos premiers émois imaginaires, nos premières rêveries romantiques avec baisers sous les palmiers, promenades main dans la main au clair de lune sur le sable scintillant…  et nos premières solides érections, qu’il a eu l’amitié de garder secrètes.

 

Jeunes hommes, il est devenu le théâtre de scènes passionnées où nous trouvions refuge à son sommet, dans ce que nous pensions être les ruines d’un château, pour caresser les seins des filles et les embrasser à pleine bouche, loin de la morale pudibonde et du carcan de l’église Sainte Nitouche. Il était une enclave de résistance aux coutumes obsolètes, une zone de non-droit pour la pruderie déplacée, où il était permis de vivre nus et de faire l’amour sur la plage… je rigole quand j’y songe, haha ! L’amour dans le sable, c’est comme dans le foin : il n’y a que ceux qui n’ont jamais essayé que ça fait fantasmer !!

 

Adultes,… adultes, la vie "réelle" nous a  arrachés brutalement à sa force d’attraction magnétique pour nous rappeler aux "dures réalités de l’existence". Tu as quitté le village ; j’ai commencé à travailler. A toi la carrière, les voyages, l’installation à l’étranger ; à moi les petits boulots, selon ce que m’offrait le quotidien local : mécano, cordonnier, aide-boulanger, livreur, serveur, facteur… factotum ! J’ai tout fait : j’apprenais sur le tas, et pour les études, de toute façon, ma famille n’avait pas le budget.

 

Longtemps, j’ai songé à tout ce que nous ferions lorsque tu reviendrais, et comment nous pourrions, enfin, nous rendre sur ce fameux rocher. Les années ont passé, tu n’es pas revenu : ni pour Domenico après son accident, ni pour les funérailles de ton père, ni pour aider ta mère quand elle a commencé à ne plus être autonome. C’est nous, au village, qui l’avons épaulée.

 

Qu’est-ce qui pouvait te retenir si loin, si fort, pour que tu ne rentres pas, même pour ces priorités-là ? Ton travail était-il si prenant, si exaltant ? Bien sûr, tu as sûrement une voiture splendide quand je n’ai qu’un vieux vélo ; tu possèdes la télévision dernier cri que me réclament mes enfants, et tu as de quoi financer de brillantes études aux tiens. Le cycle se répète. A vous l’opulence, à nous l’épargne…

 

Mais quand j’y réfléchis, quand je repense à ces rares photos que m’a montrées ta mère, y as-tu gagné vraiment ? Es-tu heureux, là-bas, dans ton pays de banques, de grues et de gratte-ciel, dans ce bureau presqu’entièrement vitré qui n’ouvre que sur des immeubles vertigineux et quelques pans de ciel gris, brouillé par les gaz d’échappement et les fumées de l’industrie ? Te rappelles tu les bleus intenses du ciel et de la mer d’ici, le parfum capiteux des pins et le concert entêtant des cigales, les soirs d’été ? Te rappelles tu le ravaudage des filets en communauté, le ventre rebondi des barques colorées, le chant des cloches du campanile, les odeurs de café au petit matin dans les ruelles encore humides et fraîches, quand les commerçants lessivent leur devanture en sifflotant ?

 

Voilà ce que je te demanderais si tu revenais un jour, voilà ce que j’aimerais t’entendre me dire, quand les ans nous auront courbés, quand nous nous assoirons à notre tour sur un banc pelé du front de mer, les mains croisées sur la canne, le menton sur les mains, les yeux dans le vague et les vagues.

 

Les jours passent sur notre rocher sans l’user, seule s’use mon attente, ou peut-être mon envie, de te voir rentrer. Peut-être est-ce mieux ainsi : que le rocher reste cette île utopique et lointaine, posée en équilibre sur l’horizon, vacillant entre passé et présent, enfin accessible, jamais explorée, cette île meilleure de n’être jamais atteinte pour nous tirer en avant et nous faire voyager loin.

27.06.23

 

Il gelato (écriture à 4 mains)

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En 2008, durant notre voyage dans le Nord de l'Italie, je postais régulièrement des photos sur mon blog de l'époque ("Graines d'espérance") et proposais aux lecteurs d'imaginer des textes inspirés des images.

Ecrire à partir d'un support visuel (ou sonore !) est un jeu que j'aime proposer dans mes ateliers ; ici, le texte a été co-écrit avec une autre blogueuse, Lady Angel. Elle l'a commencé (partie en italique) et je l'ai poursuivi et fini à partir du point où sa plume s'était arrêtée.

Ecrire à plusieurs mains est une autre expérience que j'aime tenter, moins facile qu'il n'y paraît car il faut que les deux styles s'harmonisent sans laisser paraître les "jointures" du texte !

En faisant ma leçon d'italien, hier, j'ai repensé à cette série de photos et eu envie de republier ce texte. Vous pouvez lire ceux de Lady Angel sur son blog de l'époque,"L'écritoire". 

 

 


Je me souviens. Il faisait chaud, très chaud. Comme toujours dans les rues de notre village. Maman avait eu un peu plus de temps que d'ordinaire pour venir me chercher à la sortie de l'école. J'étais fou de joie. Je la voyais si peu. Nos horaires ne concordaient pas souvent et si nous courions après le temps, nous courions aussi souvent après nous mêmes.
Papa devait nous rejoindre après être passé au garage pour faire la révision des 15 000.
On s'était assis sur le premier banc qui s'était offert à nous. Qu'est ce que je la trouvais jolie ma maman. Jolie comme une friandise.
Elle s'est levée, a sorti un porte monnaie miteux de son sac et s'est précipitée sur le marchand de glaces qui passait. A la volée, elle m'a demandé quel parfum je souhaitais et après qu'elle m'en eut énuméré une bonne dizaine, elle choisit elle-même devant ma mine dépitée. Le pire restait à venir !
Elle ouvrit son porte-monnaie et compta son menu butin.... Deux pièces, deux malheureuses pièces se volaient la vedette contre le cuir, mais rien qui suffit à payer sa dette au vendeur. Ca allait fondre. L'homme lui tendit le cornet. Elle bafouilla. Bredouilla que son mari allait la rejoindre, et se confondit en excuses. L'homme sourit, moi pas.
Maman reprit sa place à mes côtés, confuse et pleine de principes. Face au vendeur, elle n'osait rien faire...
Et si papa ne venait pas???
Elle ne me regarda pas et fixa son regard sur le bout de la rue pendant de longues minutes; pendant de trop longues minutes...
Il faisait si chaud.


Ils m'attendaient. Mes deux trésors. Ils m'attendaient. Fallait que je speede, que je mette la gomme. Oui mais...
Pas facile de tracer dans les ruelles étroites du village, avec les touristes agglutinés devant les vitrines qui barraient le passage. Pas facile de me faufiler parmi les attroupements de curieux et de promeneurs qui, eux, pouvaient prendre le temps de vivre.
Et ces pavés inégaux, ils n'allaient jamais se décider à les aplanir, à goudronner tout ça ? Et ces trottoirs irréguliers, bancals ? Jamais praticables de toute façon, encombrés l'été, glissants l'hiver...
Ils m'attendaient. J'allais être en retard. Je suais sang et eau sur mes deux roues.
Pas facile de me frayer un chemin dans cette cohue indifférente.
Pas facile de traverser une ville pas équipée pour un fauteuil roulant...

Ils étaient là... au loin.
Ca valait toute l'eau et tout le sang du monde.

 

 

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