Cher Papa, voilà 8 ans aujourd'hui que tu es parti vivre de l'autre côté. A l'époque, nous ne pouvions pas, ou plus, nous parler. Chaque fois que j'entendais cette chanson (comme par un fait exprès, elle passait partout où j'allais), je versais des litres de larmes. En la réécoutant aujourd'hui, je pleure toujours, mais plus pour les mêmes raisons. Je pleure parce que je réalise que chacun des souhaits qu'elle exprime, je l'ai accompli. Je pleure de gratitude pour ce que la vie m'a permis d'apprendre à travers ta mort. Ne pas perdre de temps. Ne pas oublier mes rêves. Ne pas me décourager. "Partir où mon coeur me pousse", même quand ça semble complètement impossible. Tout ce à quoi tu m'as entraînée de ton vivant ici, avec une rigueur et une exigence quasi martiales. Tu m'as donné un véritable entraînement de ninja ! Grâce à elles, grâce à toi, j'ai pu relever tellement de défis. C'est étrange qu'il nous ait fallu attendre ton départ pour réussir à nous parler vraiment. Avec ces mots et cette délicatesse que, dans le monde d'ici, tu te refusais à avoir. Ou que, peut-être, personne ne t'avait appris... Tu t'es mené la vie dure et tu nous l'as menée aussi. Comme il aurait été dommage de rester sur cette fausse image de qui tu étais vraiment, derrière le masque... Aujourd'hui, je pense à ceux qui, comme moi à l'époque, pleurent un proche en se disant qu'ils sont passés à côté de leur relation avec lui. Qu'il est parti sans qu'ils puissent se dire les choses importantes, avec les mots ou les gestes du coeur. Je pense à ceux qui n'ont, comme moi, pas pu être aux côtés de l'être cher qui part, dans ses derniers instants. A ceux qui se désolent que tout soit perdu, que le final soit un échec. J'aimerais leur dire, avec toi, qu'en réalité, rien n'est perdu, car rien ne s'arrête. La mort n'emporte rien, elle ouvre une porte que chacun d'entre nous est libre de franchir, ou non, afin d'aller s'entretenir avec ses proches, poursuivre (ou reprendre, comme dans notre cas), le dialogue avec eux. La vie avec eux. Ce n'est pas une question de croyance religieuse en un au-delà, un Paradis ou je ne sais quoi. Je dirais plutôt une "décroyance", une déprogrammation de tout ce que nous pensons connaître de la vie, de la mort... et si ça ne s'arrêtait pas ? Et si ce n'étaient pas deux dimensions séparées ? Et s'il était possible de rester en lien, exactement comme avec une personne qui s'en va vivre à l'étranger et reste en contact avec nous, par-delà les frontières ? Pouvons-nous aller jusque-là ? Le téléphone, le passeport universel existent, pour "l'au-delà" aussi. Ils sont dans notre coeur. Chacun de nous peut les utiliser, même s'il n'y croit pas. Ce qui n'a pu être apaisé, dénoué dans cette vie, peut l'être après. Même bien plus facilement, sans la cuirasse de l'ego. Il n'y a pas de culpabilité, de remords à avoir. La vie continue. Autrement. On peut toujours s'engueuler, même, si ça nous manque. On se réconcilie juste plus vite ! Ce qui n'a pas été dit de ce côté du monde peut l'être de l'autre. On peut parler aux "absents", ils nous entendent et nous répondent. Pas avec leurs voix de vivants, bien sûr. Mais d'une façon que nous reconnaîtrons, parce que leur réponse s'accompagnera d'une émotion particulière, au moment où elle nous touchera. On sait, c'est tout. La raison se rebiffe, rechigne, contredit. Mais au fond de soi, malgré tout son barouf, on sait. On sent. Merci, Papa, de m'avoir appris par ta maladie, puis par ta mort, qu'il est d'autres façons de communiquer, même à distance, que la parole. Merci de m'avoir appris que le réseau de l'amour n'a ni limites, ni frontières, et couvre tout ce qui existe, dans le visible comme dans l'invisible. Merci de m'avoir permis d'expérimenter que, de partout, à n'importe quel moment, quel que soit mon état émotionnel, je peux "parler à mon père"... et à tous les autres. Comme le réseau est perfectionné, je finis d'écrire ce texte, commencé le jour anniversaire de ta mort, à 11h04 : 11 avril, ta date de naissance.
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