Côte à côte (16)

Rédigé par Sylvie PTITSA Aucun commentaire
Classé dans : Textes de ma plume Mots clés : aucun

 

 Côte à côte (16)

 

Tekle est parti. C’est dommage, je l’aimais bien, ce gamin. A force de se saluer de loin, on avait fini par sympathiser, même sans se parler beaucoup. On avait tissé une relation discrète, silencieuse. Il a disparu du jour au lendemain, sans me dire au revoir. Comme ma femme… La vie est trouée d’imprévus. On fait son maximum pour la plier, la forger, lui donner une forme, un sens, mais en définitive, on ne contrôle pas grand-chose…

 

Il paraît que le gamin aurait pris la direction de la France. Trop  compliqué de faire venir sa famille ici : le climat politique n’y est pas propice… Au vu des dernières élections chez nos voisins, pas sûr que la France se montre plus hospitalière que l’Italie pour les Erythréens, pour les étrangers en général…

 

Dire que ça fait déjà un an… Un été a remplacé l’autre, certains touristes ont disparu, d’autres sont revenus, les habitués côtoient les nouveaux arrivants, et au village, la vie suit son cours : Gepetto déprime en espérant le retour de son fils, toujours porté disparu en mer, l’accident de la gelateria Rosanna demeure inexpliqué, mon meilleur ami  me supplie de l’inviter à déjeuner quand sa Française de femme lui prépare des trucs bizarres (surtout s’ils sont verts), Domenico me taquine sur mes rêves romantiques dignes d’un feuilleton américain (« Emilio, seriosamente ?! ») … et nous n’avons jamais su, finalement, qui avait gagné le pari au sujet de l’idylle du type en chemisette et de la petite touriste du front de mer, car nous ne les avons pas revus.  Domenico continue à penser que leur histoire a fini avec l’été, moi qu’elle a eu un hiver, et peut-être même un printemps : on ne se refait pas !

 

A l’entrée du port, mes lignes trempent toujours, moins à l’affût du goujon que des nouvelles du village… mais pas ce matin ! Car ce matin, c’est jour de marché, et en bon cuisinier, j’aime acheter et choisir mes produits moi-même. Flâner parmi les étals, humer les senteurs mélangées, caresser la rondeur des tomates, choisir les olives, saluer les amis, acheter le fromage et la charcuterie à la coupe, imaginer déjà la variété des plats possibles, laisser traîner dans les allées mes oreilles, comme mes lignes, au cas où une conversation savoureuse y mordrait, frétillante d’une nouveauté toute fraîche… et justement, ce matin, le marché complet ne parle que de ça : la nouvelle quincaillerie qui vient d’ouvrir Via Garibaldi, juste à côté de la gelateria Rosanna, là où, l’année dernière, s’est produite la fonte inexplicable de toutes les glaces, jusqu’en pleine rue. Mais ce n'est pas tout : la nouvelle boutique est tenue par une FEMME. Et, pour achever de jeter de l’huile sur le feu et de l’excitation dans les esprits, elle n’est pas d’ici ! (D’où exactement, on ne sait pas, mais pas de chez nous, c’est sûr !).

 

Au pied des étals, entre clients et commerçants, les commentaires fusent :

« Une femme dans une quincaillerie ! Mais qu’est-ce qu’elle y connaîtra !

-Vous êtes sûre qu’elle n’a pas de mari ? Elle ne s’occupe peut-être que de la caisse, et lui du conseil aux clients? Non ?... Ou alors un cousin, un frère, un fils, un oncle ?... Un grand-père ??...

-Rien du tout, je vous dis ! Pas l’ombre d’une paire de couilles derrière son comptoir.

-Et qu’est-ce qu’elle vend, l’incompétente ?

-De tout ! Enfin, de tout ce qu’on trouve habituellement dans une quincaillerie.

-Il paraît qu’elle a même des tondeuses à gazon !

-Et des filtres à particules !!

-Hein ? Mais ça n’a rien à faire dans une quincaillerie, ça !

-Eh ben, elle en a ! C’est Claudio qui me l’a dit, il les a vus !

-Elle a de beaux outils aussi, allez !

-Que voulez-vous dire ?

-Vous avez vu son décolleté ? Ce n’est pas légal, une devanture pareille !

-Et ses fesses ? Ce sont des vraies à votre avis ? Ou une publicité triomphale pour la chirurgie ?... »

(Pia et Paola, nos Mitraillettes locales, se sont mêlées à la discussion : immédiatement, les propos ont pris un tour plus… offensif).

« Elle ne tiendra pas, c’est sûr. Je lui donne six mois pour faire faillite !

-Elle pourra toujours se recycler en vivant de ses charmes… enfin, de ses formes ! Peut-on parler de charmes quand ça déborde autant des mains d'un honnête homme ?

-Eh, planche à pain, tu es jalouse ! Certains hommes les aiment rondes ! La plupart des hommes, même, et tant pis pour les top models !

-A voir le défilé de couillus qui passe la porte de la quincaillerie depuis son ouverture, il semble que l’importée possède de bons arguments de vente…

-Mais non, voyons, c’est juste de la curiosité !

-Tout dépend où tu places la curiosité ! Tu connais les hommes, non ? Ceux du village comme ceux de n’importe où !

-Je rigolerais qu’elle soit lesbienne, tiens ! C’est tellement à la mode, maintenant, que ça lui vaudrait peut-être un sponsor !

-Tu dis n’importe quoi, les quincaillers n’ont pas de sponsor ! Ce sont les sportifs !

-N’empêche que c’est louche qu’elle n’ait aucun homme dans son entourage ! C’est sûrement une femme de mauvaise vie, si elle les fait fuir !

-Les femmes de mauvaise vie les attirent comme des mouches, au contraire ! Tu sais bien que tous les hommes, jeunes ou vieux, sont vicieux !

-Dites-moi Paola… »

(C’est la Française qui parle, celle qui cuisine des trucs bizarres…)

«  …à quand remonte le dernier moment que vous avez passé avec un homme, mmmmh ?... Dites, monsieur, vous auriez des épinards frais ?...

-Encore des trucs verts !!! » 

(Là, c’est son mari...).

« Tu ne peux pas cuisiner des pâtes, comme tout le monde ?

-Amore, les pâtes et les gnocchi, tu les cuisines mieux que moi ! Veux-tu passer en cuisine et t’occuper du déjeuner ? Ce sera une bagatelle, nous ne recevons que vingt personnes… dont une allergique au gluten, une qui mange sans lactose, une qui refuse le fromage, une vegan pure et dure et…

-Ah non ! Dis-moi que tu n’as pas invité ta copine démente, la niçoise ??!

-Tu as bien invité ton cousin hypercholestérémique, à qui il faut tout cuisiner sans sel, sans crème et sans beurre ... ?

-Mais ce n’est pas pareil ! C’est une maladie, le cholestérol, ça ne se choisit pas ! Ce n’est pas une lubie alimentaire !

-Nous maîtrisons à fond le sujet, mmmh ?... Donc, pas d’épinards ? Quelle alternative « non verte » proposes-tu ?

-Je vais à la quincaillerie !!!!

-Ce n’est pas là-bas que tu trouveras des pâtes !!! Et je te rappelle notre accord : celui qui cuisine décide du menu !!

-Les Françaises sont encore plus impossibles à vivre que les Italiennes, ma parole !

-Il fallait y réfléchir avant !

-Et voilà, la quincaillère a gagné un nouveau client… tout ça à cause des épinards !, commente Pia, ravie.

-Allez, les épinards n’y sont pour rien ! Les responsables, ce sont ses seins !! »

 

Voilà pourquoi j’aime le marché. On y sert des tranches de fromage, des tranches de jambon et des tranches de vie. Je suis resté hors de la conversation, mais j’ai ri à m’en tenir les côtes.

 

Grâce à l’ambiance du marché, à cette immersion dans la foule, le bruit, la vie quotidienne des autres, j’oublie aussi un peu ma nostalgie de ma femme… et mon envie d’en retrouver une. Voilà qui plaira à Domenico. Je me demande ce qu’il pense de la quincaillère ?... » 


 

  Lire les autres "Côte à côte"

 

Audace

Rédigé par Sylvie PTITSA Aucun commentaire
Classé dans : Textes d'autres plumes Mots clés : aucun

"Longtemps, la nature du réel n'a pas fait consensus, - ni parmi les scientifiques, ni parmi les philosophes, ni parmi les peuples. En dépit de la similarité des informations reçues à travers nos sens, chaque culture l'appréhendait différemment, en fonction des cartes mentales particulières servant à les interpréter. Ces modèles ont évolué non seulement suivant les lieux, les époques, les conditions de vie, les croyances religieuses ou spirituelles, mais aussi selon le courage de ceux qui, à partir d'indices laissés par l'univers, ont osé renverser les paradigmes pour proposer des lectures élargies du réel, parfois au péril de leur vie. On pense, par exemple, au dominicain Giordano Bruno, exécuté à Rome en 1600 pour ses théories sur l'héliocentrisme.

Cette diversité de points de vue s'est pourtant considérablement réduite à notre époque. (...) Une grande partie des humains, à l'exception de quelques poches de résistance, semblent s'être presque accordés sur un étroit consensus, un consensus réduisant la richesse et la magie du monde à peau de chagrin. Hérité des idées de Newton et de Descartes, ce consensus postule l'existence d'une réalité extérieure - objective, et non subjective -, régie uniquement par les lois de la physique et de la causalité, et au sein de laquelle l'esprit ne serait plus qu'une simple propriété émergente de la matière. Selon ce paradigme aujourd'hui dominant, l'univers serait donc un ensemble de grains séparés qui interagissent les uns avec les autres, comme les engrenages d'une horloge. Cette conception d'un univers-machine fonde aujourd'hui l'implacable réalité à laquelle nous asservissent la technique et l'économie,nous transformant nous-mêmes en rouages toujours plus oppressés de ce grand mécanisme constamment en recherche de plus de performance plutôt que de créer davantage de beauté et d'harmonie.

(...) Plusieurs découvertes du 20e siècle vinrent pourtant effondrer les certitudes sur lesquelles était fondé ce modèle de la réalité (...). Il faudrait donc, comme nous l'avons toujours fait, élargir notre esprit pour appréhender ce monde plus vaste, plus subtil. Tout était à refonder. Pourtant cela ne s'est pas encore produit, et la quasi-totalité des humains vivent encore selon l'ancien paradigme. (...)

Nous ne sommes pas séparés, mais tous reliés d'innombrables manières. Et l'issue à notre impasse pourrait provenir d'un élargissement de notre regard sur le monde. (...)

L'audace d'explorer et de proposer conduit parfois à des erreurs, mais elle est la seule voie permettant de créer de la nouveauté."

 

Jean-Pierre GOUX, créateur de "One home"

Préface au livre de R. Leterrier et J. Morisson : "Univers-Esprit.Tout est relié"


 

 

Antinomiques

Rédigé par Sylvie PTITSA Aucun commentaire
Classé dans : Textes d'autres plumes Mots clés : aucun


Là où l'amour règne, il n'y a pas de volonté de puissance

et là où domine la puissance, manque l'amour.

L'un est l'ombre de l'autre.

 

Carl Gustav JUNG

 

Chanson interprétée par Cerise Calixte

dans le film d'animation de Disney

"Vaiana, la légende du bout du monde"

Paroles et traduction ici

"Et si le bonheur était pour ceux qui osent / Simplement passer à autre chose..."

Rédigé par Sylvie PTITSA Aucun commentaire
Classé dans : Textes d'autres plumes Mots clés : aucun
 
 
Mille façons de mourir
Mille raisons de sourire
Mille raisons de se taire, mais
Mille façons de tout dire
À cultiver nos peines
Les aigreurs que l'on saigne
On distingue à peine
Le bleu dans le ciel
 
Parfumer nos idées
Embaumer nos mémoires
Dans la blancheur d'une orchidée
Y a tant de choses que l'on peut voir
Saisir avec le cœur
La beauté, le récit
Car malgré toutes ces horreurs
Ce monde offre encore de la poésie
Y a du bonheur dans les petites choses
De la grandeur dans les petites causes
 
Je crois qu'ici tout a sa place
Tout a un sens
J'écoute même ce que raconte le silence
Un désir meurt
Un autre lui succède
Et si le bonheur était seulement
D'apprécier ce qu'on possède
Tu trouveras mille raisons de souffrir si tu le veux
Moi je vois mille raisons de sourire dans tes yeux
(...)
 
 
Extrait de "Mille raisons"
Kery James & Slimane
 
Fil RSS des articles