Côte à côte (2)

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Côte à côte (2)

 

Voyons, voyons, qui va s’installer à côté de moi aujourd’hui ? Hier, ce n’était pas mon jour de chance. Le matin, j’ai eu Moquette, un habitué poilu du dos à s'y sécher les pieds. Il vient en général accompagné de son fils, que j’ai baptisé Tapis de bain. Je verrai en fin de puberté si je dois adapter son surnom à sa pilosité définitive. En sandwich entre eux deux, c’est sûr, on doit se sentir comme dans un sac de couchage inuit fourré ours polaire. Ils ont squatté leur chaises longues tout le matin, même pas mis le bout d’un orteil dans la mer. Et léché des Eskimos, en prime.

 

Après eux, j’ai eu une nouvelle, une dame charnue qui a passé l’après-midi à l’ombre à se tartiner de crème solaire et à se retourner sur son pliant en poussant de petits cris et des soupirs un peu rauques dont je n’ai pas pu identifier si c’étaient des ronflements : son visage bouffi disparaissait aux trois quarts sous un gigantesque chapeau de paille, plus proche du sombrero que du canotier. A voir la couleur de sa peau, peut-être une de ces Anglaises qui virent en quelques heures au vanille fraise, quand ce n’est pas au vanille framboise ou vanille cassis, suivant l’indice de leur crème solaire et la fréquence du tartinage. Avec ses bourrelets huilés et ses couinements poussifs, elle me faisait penser à un phoque. Ou alors, c’est une de ces Bavaroises aux fesses aussi mafflues que celles de leurs vaches. Non, elle n’a pas commandé de bière de l’après-midi. Donc, pas une Hollandaise non plus. Je penche pour une Flamande ascendant otarie. Une Viking croisée pinnipède (ses pieds étaient affreux, en plus, avec des ongles cassants, mal taillés, mal vernis… une horreur !). Une walkyrie de lignée morse, ou éléphant de mer.

 

C’est incroyable, quand même, comme je voyage et découvre les cultures sans quitter ma place. J’ai déjà fait, au moins, le tour du monde. On ne s’ennuie jamais quand on… ah ! L’aubaine ! Mazette ! Gloria ! Aujourd’hui, c’est Byzance ! Une Italienne, une vraie ! Soignée, maquillée, coiffée, épilée jusqu’au maillot, super bien roulée, en plus ! Je vais m’en mettre plein les mirettes avec son bikini rikiki, et recto verso : le bas est un string ! Waouuuuuuh ! Alleluia ! Revers de fortune ! Tous les saints sont de mon côté, ou tous les seins, enfin, surtout les siens ! Madonna mia ! Quels melons ! Quelle pulpe ! Je vais veiller sur elle, raide comme un garde du corps, droit comme un i. Je vous le disais : il faut se montrer patient, mais on ne s’ennuie jamais à la plage. Rien de plus excitant qu’une vie de parasol !

 

Côte à côte (1)

Rédigé par Sylvie PTITSA Aucun commentaire
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Côte à côte (1)

 

Le matin, la plage est encore calme. C’est mon moment préféré de la journée. Les pêcheurs silencieux observent la vie du quartier depuis la jetée tout en surveillant leurs flotteurs du coin de l’œil. A bord de son petit bateau blanc, dont le sillage, momentanément, coupe à angle droit l’eau tranquille, Luigi rentre de sa sortie matinale. J’arrange les chaises longues et les parasols jaunes et blancs dans un alignement impeccable, digne d’un défilé militaire un jour de  fête nationale. J’y mets un soin particulier, parce que j’aime le travail bien fait, mais aussi parce qu’il y a quelque chose de rassurant à cet ordre parfait, à cette sérénité que rien ne trouble, pas même les cris des oiseaux de mer. Les clients de l’hôtel vont à l’espace wellness, la plupart préfèrent l’eau douce de la piscine et la proximité du sauna à l’eau salée, mêlée de sable et d’algues, qui poisse la peau.

 

La plage, au matin, est mon espace wellness. L’espace où, quelques précieux instants, réfugié dans une bulle en apesanteur dans l’air marin encore doux et frais, je m’offre un soin délassant de torpeur béate hermétiquement close. Là, j’oublie ceux qui sont tombés du bateau. Ceux restés au pays. Ceux parqués au centre de rétention. Ceux tombés aux mains des passeurs sans scrupules, ceux qui attendent la rançon de leur famille pour sortir des geôles de leurs tortionnaires. Moi, j’ai la chance d’être sain et sauf, d’avoir pu trouver du travail ici. Au noir, comme ma couleur de peau, celle qui ne plaît pas à certains clients de l’hôtel qui s’adressent à moi sans respect ou m’ignorent délibérément, me préférant le personnel maghrébin basané mais moins « foncé ». Que m’importent le mépris, les vexations ou même, parfois, les insultes ? Je suis vivant. J’ai rallié un pays libre où je profite, chaque matin, de mon espace wellness privé. A la fin du mois, je pourrai envoyer un peu d’argent à la famille et, si Dieu veut, ils viendront me rejoindre ici un jour. Ils quitteront, un à un, l’enfer de feu, de fer et de sang qu’est l’Erythrée. Je salue la grâce de pouvoir danser sur la corde raide, même si c’est sans filet, plutôt que d’avoir dû me la passer au cou pour me pendre.

 

 

29.06.23

Inspiré de l'article Ils en parlent – Voyage en barbarie (wordpress.com) (âmes sensibles, s'abstenir !)

Heureusement, il y a aussi LIMBO – RÉPARER LES SURVIVANTS (limbo-asso.com)...

 

Atelier d'écriture : "Il était une fois un pays..."

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Après avoir écouté et commenté mon dernier texte inédit pour les enfants, "Seize millions d'étoiles", les CE1-CE2 de l'école Elie Reumaux à Freyming Merlebach (classe de Mme Tchanilé) sont devenus auteurs à leur tour! Chaque binôme de 2 enfants (un CE1 et un CE2) a écrit un début d'histoire construit de la même façon que le début de la mienne. Pour cela, ils devaient :

-construire des énumérations avec des mots qui riment, si possible en changeant de rime à chaque nouvelle phrase.

-inventer une monnaie et lister des objets de valeur croissante qu'on pourrait acheter avec cette monnaie.

-mettre les majuscules, la ponctuation (virgules dans l'énumération) et aller à la ligne à chaque phrase, comme dans un poème.

En savoir plus sur le programme complet de notre journée

 

Outre le travail d'orthographe, grammaire, vocabulaire, expression écrite... c'était aussi une réflexion autour de l'imaginaire et de la valeur des choses, une notion souvent floue pour des enfants de cet âge (7-8 ans) qui n'achètent pas encore, ou peu de choses, par eux-mêmes : qu'est-ce qui coûte cher, peu cher, moyennement cher ? Pourquoi ? Qu'est-ce qui n'a pas de prix et qu'on ne peut pas acheter ?

 

Je publie ci-dessous 3 textes : ceux de Kylian et Alexandre; Martin et Emmy; Valentine et Garance; vous pouvez aussi entendre Lizea lire le sien (co-écrit avec Lenny) dans le reportage de TV8. Pour découvrir l'ensemble des textes, feuilletez l'album ici !

 

Bravo à toutes les jeunes plumes !

  

Il était une fois un pays...

 

 

Il était une fois un pays...

 

 

Il était une fois un pays...

 

Et pour lire le mien ? Haha, comme le livre n'existe pas encore, il faut m'inviter pour l'entendre !!

Rosace alchimique

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Avec la fin d'année scolaire, je retrouve plus de temps libre pour créer : beaucoup de mes élèves sont en excursion ou, pour les plus grands, ont fini leurs examens, et j'ai moi-même terminé depuis mai mon 4e et dernier cours de luxembourgeois.

C'est avec bonheur que j'ai retransformé mon salon en atelier et ressorti les encres, le papier aquarelle, la colle, les ciseaux et les perles. J'ai réalisé cette semaine ce tableau intitulé "Rosace alchimique". Je ne le mets pas en vente car je souhaite l'encadrer et le garder chez moi, il est lié à une histoire particulière qui lui donne une valeur unique. Mais si vous aimez mon travail, il me reste quelques créations en boutique ! (Me contacter? Ici!)

Les perles, irisées, changent de couleur à la lumière et le résultat est toujours plus beau en réalité qu'en photo, mais voici tout de même un aperçu. Actuellement, je travaille aussi sur une nouvelle collection de marque-page intitulée "D'encre et de plume" et sur les illustrations de mon dernier texte pour les enfants, "Seize millions d'étoiles". Ce n'était absolument pas prévu, l'inspiration m'est venue cette semaine, je vous raconterai comment dans un autre article !

Comme toujours, créer va beaucoup plus vite dans mon imagination qu'entre mes mains et j'aimerais avoir des journées de 72 heures. Mais je m'amuse comme une lutine ivre de couleurs et cette ivresse-là ne rend pas malade et n'empêche pas de voyager, bien au contraire ! 


 

 Copyright  : Sylvie PTITSA (juin 2023)


Lontano (loin)

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L'imaginaire est la plus belle des agences de voyage. On part pour n'importe où dans le monde (ou même hors du monde !), n'importe quand, le temps qu'on veut, aussi souvent qu'on veut. Pas de frais, pas de valises à l'aller, pas de linge sale au retour, pas de formalités administratives, pas de vaccins, pas d'embouteillages, pas de mal des transports, pas de trains en retard, pas de vols annulés, pas de pick-pockets, pas de gêneurs, pas de malotrus (sauf si on décide qu'on en veut pour pimenter l'aventure). Je ne m'en lasse pas. Je suis époustouflée par ce cadeau magique, illimité, inépuisable.

Hier, je republiais un ancien texte né d'un vrai voyage. Dans la soirée, j'ai regardé une vidéo sur la Ligurie, où je ne suis jamais allée. Ca m'a donné envie de m'y rendre par l'imaginaire. J'ai pêché une photo sur Internet et voilà ce qui est sorti.

 

Photo : Marek 7400 - www.expedia.fr

 

On s’était promis qu’un jour, on irait sur le rocher ensemble, tu te souviens ? A la nage, à la rame, avec nos bouées ou sur une embarcation de fortune, en yacht si on devenait riches, en canot à moteur ou en pédalo… On s’en est pris des roustes à tenter d’y accoster encore et encore, parfois au péril de nos vies ; on s’en est cogné des dimanches consignés dans notre chambre pour avoir de nouveau tenté l'aventure.

 

Si loin que remontent mes souvenirs, le rocher a toujours été le point de convergence de nos rêves, le creuset de nos fantasmes les plus fous.

 

Enfants, nous nous projetions, pirates, dans ses criques déchiquetées pour y enfouir notre trésor, bravant les squales ; nous débarquions sur ses plages étroites en explorateurs intrépides pour finir ligotés à une broche par des cannibales ; nous nous jetions de liane en liane dans la jungle intérieure qu’il ne pouvait manquer d’abriter, cachée dans le cratère d’un volcan ou dans une cavité souterraine luxuriante.

 

Adolescents, il a accueilli nos premiers émois imaginaires, nos premières rêveries romantiques avec baisers sous les palmiers, promenades main dans la main au clair de lune sur le sable scintillant…  et nos premières solides érections, qu’il a eu l’amitié de garder secrètes.

 

Jeunes hommes, il est devenu le théâtre de scènes passionnées où nous trouvions refuge à son sommet, dans ce que nous pensions être les ruines d’un château, pour caresser les seins des filles et les embrasser à pleine bouche, loin de la morale pudibonde et du carcan de l’église Sainte Nitouche. Il était une enclave de résistance aux coutumes obsolètes, une zone de non-droit pour la pruderie déplacée, où il était permis de vivre nus et de faire l’amour sur la plage… je rigole quand j’y songe, haha ! L’amour dans le sable, c’est comme dans le foin : il n’y a que ceux qui n’ont jamais essayé que ça fait fantasmer !!

 

Adultes,… adultes, la vie "réelle" nous a  arrachés brutalement à sa force d’attraction magnétique pour nous rappeler aux "dures réalités de l’existence". Tu as quitté le village ; j’ai commencé à travailler. A toi la carrière, les voyages, l’installation à l’étranger ; à moi les petits boulots, selon ce que m’offrait le quotidien local : mécano, cordonnier, aide-boulanger, livreur, serveur, facteur… factotum ! J’ai tout fait : j’apprenais sur le tas, et pour les études, de toute façon, ma famille n’avait pas le budget.

 

Longtemps, j’ai songé à tout ce que nous ferions lorsque tu reviendrais, et comment nous pourrions, enfin, nous rendre sur ce fameux rocher. Les années ont passé, tu n’es pas revenu : ni pour Domenico après son accident, ni pour les funérailles de ton père, ni pour aider ta mère quand elle a commencé à ne plus être autonome. C’est nous, au village, qui l’avons épaulée.

 

Qu’est-ce qui pouvait te retenir si loin, si fort, pour que tu ne rentres pas, même pour ces priorités-là ? Ton travail était-il si prenant, si exaltant ? Bien sûr, tu as sûrement une voiture splendide quand je n’ai qu’un vieux vélo ; tu possèdes la télévision dernier cri que me réclament mes enfants, et tu as de quoi financer de brillantes études aux tiens. Le cycle se répète. A vous l’opulence, à nous l’épargne…

 

Mais quand j’y réfléchis, quand je repense à ces rares photos que m’a montrées ta mère, y as-tu gagné vraiment ? Es-tu heureux, là-bas, dans ton pays de banques, de grues et de gratte-ciel, dans ce bureau presqu’entièrement vitré qui n’ouvre que sur des immeubles vertigineux et quelques pans de ciel gris, brouillé par les gaz d’échappement et les fumées de l’industrie ? Te rappelles tu les bleus intenses du ciel et de la mer d’ici, le parfum capiteux des pins et le concert entêtant des cigales, les soirs d’été ? Te rappelles tu le ravaudage des filets en communauté, le ventre rebondi des barques colorées, le chant des cloches du campanile, les odeurs de café au petit matin dans les ruelles encore humides et fraîches, quand les commerçants lessivent leur devanture en sifflotant ?

 

Voilà ce que je te demanderais si tu revenais un jour, voilà ce que j’aimerais t’entendre me dire, quand les ans nous auront courbés, quand nous nous assoirons à notre tour sur un banc pelé du front de mer, les mains croisées sur la canne, le menton sur les mains, les yeux dans le vague et les vagues.

 

Les jours passent sur notre rocher sans l’user, seule s’use mon attente, ou peut-être mon envie, de te voir rentrer. Peut-être est-ce mieux ainsi : que le rocher reste cette île utopique et lointaine, posée en équilibre sur l’horizon, vacillant entre passé et présent, enfin accessible, jamais explorée, cette île meilleure de n’être jamais atteinte pour nous tirer en avant et nous faire voyager loin.

27.06.23

 

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