Plaisirs minuscules

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Un nouveau livre, un café, du tiramisu... le bonheur est fait de petits riens, de "plaisirs minuscules"

comme dit Philippe Delerm dans un recueil de textes qui compte parmi mes lectures préférées !

 

Bolzano

Rédigé par Sylvie PTITSA Aucun commentaire
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Je poursuis mon voyage en images. Après m'être rafraîchie dans les Dolomites, me voilà revenue en ville... Toutes les photos utilisées pour ce texte proviennent de l'article "Bolzano, due tradizioni per una città magica - Cosa veder a a Bolzano" sur le site luoghidiinteresse.it  On y va ?...

 

Le bulletin météo est catégorique : aujourd'hui sera une nouvelle fournaise. J'ai beau être d'ici, je n'aime toujours pas la chaleur. Depuis que j'ai emménagé en périphérie, chaque retour au centre-ville, en particulier l'été, quand la saison touristique bat son plein, est un calvaire. Mais pour toi...

J'ai pris le bus pour éviter les bouchons et le casse-tête du parking une fois sur place. Sur la Passeggiata del Talvera, quelques arbres distribuent gracieusement une ombre propice. Il fait encore frais. J'ai avancé ma venue de plusieurs heures pour avoir quitté la ville avant le pic de canicule. Et puis, je veux t'apporter des fleurs fraîches, encore gaillardes sur leurs tiges, et parfumées. 

Comme chaque fois, j'ai le coeur qui bat. C'est stupide, n'est-ce pas ? Mais il bat...

 

 

Bolzano

 

A l'approche de la ville, le ballet des cabines, sur les trois lignes de funiculaire, se précise. Prendre de la hauteur... est-ce la solution ?

Depuis l'arrêt de bus, je gagne la Piazza delle Erbe, tout en longueur, avec ses étals bigarrés, pressés au pied d'élégantes façades... voyons, quelles fleurs vais-je te prendre aujourd'hui ? Les roses ? Seront-elles encore soyeuses à mon arrivée, ou leur coeur sera-t-il déjà lourd ? Les lis ? Je les adore, mais leur parfum intense peut donner le tournis... Lesquelles alors ? Tournesols, gerberas, freezias, glaïeuls ?... Le ciel bleu vire déjà au gris pâle, l'air se charge d'une moiteur étouffante, aggravée par le parfum capiteux des senteurs florales mélangées. Je dois y aller... Incapable de me décider, je saisis au vol un bouquet mixte, dont les dominantes rouge et blanche me semblent appropriées.

 

 

Bouquet en main, je me hâte vers ma destination. Serai-je à l'heure ? Il ne faudrait pas que...

Devant le Duomo, comme à l'accoutumée, et en dépit de l'heure matinale, les guides touristiques ont massé leurs troupeaux. Les premiers bus ont déjà déversé sur le parvis leur chargement... Drapeaux, casquettes, ombrelles, chaque berger y va de son accessoire remarquable pour rallier et orienter ses moutons. Au pied de l'édifice gothique, dont les tuiles alignent des losanges réguliers, une horde hérissée de manches télescopiques se dispute le meilleur angle pour prendre son selfie.

Optimiser, maître mot de la trépidation moderne. On optimise tout, même les vacances. Prime spéciale à celui qui cadrera le meilleur selfie, trouvera l'angle de vue le plus original ou retiendra le maximum d'informations débitées par le guide (les écoutent-ils vraiment, ou scroller les notifications, épouiller les spams, mitrailler l'écran de réponses urgentes à des mails encore plus urgents, est-il prioritaire ?...)

Et toi, optimises-tu ?... Si oui, sûrement pas la même chose que nous... là où tu es.

 

Bolzano

 

J'arrive enfin. Par chance, j'ai réussi à ne pas être en nage. Je pousse la lourde porte. Ouf... L'office n'a pas encore commencé. A pas feutrés, m'obligeant à respirer lentement pour calmer ma respiration et mon coeur qui bat fort, toujours trop fort, je me dirige vers l'autel. La fraîcheur ambiante me remet d'aplomb... en même temps qu'elle soulève une tornade de questions : pourquoi toi ? Pourquoi ici ? N'avais-tu pas mieux à faire de ta vie ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi si jeune ? Et nous ?...

Hier encore, tu prenais ces bus, ces télécabines, tu parcourais les rues de cette ville, t'asseyais sur ces places pour y boire un "stretto", arpentais ces trottoirs, ces parcs, ces esplanades, fendais cette foule envahissante de ton pas souple, touchais ces légumes, ces fleurs, l'eau gazouillante de ces fontaines, riais avec moi de ces touristes insolites, croisés ici ou là, au hasard de nos pas, comme cette grande girafe et sa toute petite femme, t'en souviens-tu, enlacés devant la vitrine d'un antiquaire à discuter du prix d'un gramophone... ?

Mais non, tu ne t'en souviens pas, tu n'es plus là, tu n'es plus de notre côté du monde, et Dieu seul sait quels souvenirs t'en restent... pourquoi Dieu, d'ailleurs ? Pourquoi toi, pourquoi maintenant, pourquoi ainsi, toi qui aimais tant la vie et ses plaisirs, toi qui n'avais reçu aucune éducation religieuse ?...

J'ai mis mon bouquet dans le vase, près de l'autel. Tel est l'accord avec ta hiérarchie, puisque mon sexe ne m'autorise pas à entrer là où tu es, puisque je ne peux pas non plus te le faire remettre, à toi qui ne possèdes plus rien, même pas ta personne ...

Les fleurs resteront dans l'église, le temps de faner, tu ne sauras pas qu'elles viennent de moi, mais elles seront près de toi à chaque office, à chacun de ces temps de prière qui rythment ta nouvelle vie, celle qui m'est fermée.

Et si un jour, par miracle, tu sors d'ici, comme avant, comme maintenant, je serai là.

 

 

Bolzano

 

Alleghe

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Comme l’année dernière avec ma série « Côte à côte », je profite de la pause estivale pour surfer sur des images qui m'inspirent de petits textes. Une fois de plus, je ne saurais expliquer d'où me viennent les idées : à un moment, une photo « m’appelle », et très vite, en la contemplant, une phrase m'arrive. J’écris la phrase... tout le reste du texte, à peu de choses près, se déroule alors devant moi comme une pelote de fil.

La rédaction de l’article sur les « Katakombenschulen » m’a donné envie de chercher des images du Tyrol du Sud. Est-ce parce qu’il fait chaud ? Du Tyrol, j’ai glissé dans les Dolomites, où j’ai rencontré « ma » photo du jour. Et, après un petit crochet par Wikipedia, voici l’étrange texte qui en a jailli…


John Winder - Photo du village d'Alleghe, Dolomites, Italie


L’été, vous dévalez les pentes de la montagne à skis, tels des fourmis la pente de leur fourmilière, ou vous patinez sur le lac, parmi les cygnes devenus piétons. Mais l’histoire de ce lac, sous les lames tranchantes de vos patins et les bedaines arrondies de vos barques chargées de touristes insouciants, la connaissez-vous ? Laissez-moi vous la raconter, moi qui la connais… 

Le 11 janvier 1771, un glissement de terrain en provenance du Monte Piz, une simple colline bordée par les eaux fougeuses du Cordevole, a balayé le village de Riete, provoquant la mort de 49 personnes. Si la pierre, pour vous, évoque la durée, la stabilité, la montagne n'en est pas moins un corps vivant, soulevé par une respiration intrinsèque, irrégulière, imprévisible... En 1771, bien sûr, la montagne ne faisait l'objet d'aucune surveillance, d'aucun relevé sismique. Certes, elle avait manifesté des tressaillements de roc, des frissons de gravier, mais rien qui laisse présager d'un ébrouement aussi brutal. Tout juste avait-on relevé quelques chutes de pierres, ici et là...

La vallée se retrouva obturée par l'éboulis ; les eaux du Cordevole, bloquées dans leur ruissellement naturel, s'amassèrent en un lac profond qui engloutit l'un après l'autre les villages au fur et à mesure que son niveau montait : d'abord Péron, lotie au fond de la vallée, puis Soracordevole, Sommariva, Costa et Torre... Au total, 208 personnes durent abandonner tous leurs biens, tous leurs souvenirs, aux eaux menaçantes du lac et se chercher, en plein hiver, un autre abri. 

Après deux mois, la vallée commençait à cicatriser ; c'est là qu'un second malheur la frappa, comme si le premier n'avait pas suffi : après un printemps martelé de pluies torrentielles, le 1er mai de la même année, un résidu de terres et de pierres se détacha de la montagne pour percuter le lac, produisant  une immense vague qui rafla le presbytère, une partie de l'église et une poignée de maisons restées debout après le premier accident. Trois nouvelles victimes périrent. Stable, rassurante, sûre, la pierre, vraiment ?... 

Aujourd'hui, grâce à son lac dont le miroir limpide reflète les falaises acérées de la majestueuse Civetta , la commune d'Alleghe est l'une des plus attractives des Dolomites ; des touristes du monde entier s'y pressent et s'y prélassent, été comme hiver. Vous qui patinez ou naviguez sur le lac, faites mémoire des familles qui ont tout laissé sous sa surface ; souvenez-vous que votre joie insouciante d'aujourd'hui vient caresser les deuils d'hier, comme des deuils d'aujourd'hui deviendront, peut-être, consolations et allégresses de demain.

Ainsi passent vos vies, plus éphémères que le filet de fumée d'une chandelle que l'on souffle, tandis qu'au fond de l'eau, parmi les murs éboulés, les toits effondrés, les charpentes vermoulues, nous retenons ce qui fut, nous, les détachées, nous, les migrantes des cimes assimilées aux crevasses lacustres, nous, les gardiennes de la mémoire, nous, les pierres. 


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 Image : juzaphoto.com 

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