Un roi était à la tête d'un grand royaume. Arrivé à un âge avancé, il fit appeler auprès de lui ses fils et ses filles.
"Mes enfants, vous êtes nombreux, adultes et compétents. Il est temps pour moi de remettre mon royaume entre vos mains à présent."
L'instant était solennel.
"J'aimerais, poursuivit le vieux roi, que vous répartissiez entre vous la charge de travail (car il y en a beaucoup, et je ne veux pas que vous vous épuisiez à la tâche. Ce royaume est une responsabilité, mais je désire que sa gestion vous soit aussi une joie, et jamais une charge. Aussi, que chacun d'entre vous s'accorde les fonctions pour lesquelles il se sent le mieux taillé et s'attribue les terres où ces fonctions sont les plus nécessaires."
Ainsi fut dit, ainsi fut fait. Dans l'harmonie, avec une belle entente, les fils et les filles se répartirent le royaume de leur père. et se rendirent là où leurs dons spécifiques les appelaient. Ceux qui savaient soigner se rendirent auprès des malades ; ceux qui savaient cultiver, sur les terres les moins prospères ; ceux qui savaient pacifier, dans les régions en guerre ; ceux qui savaient créer, là où l'art et la beauté devaient être manifestés... Ne resta finalement auprès du vieux roi que sa fille puinée, la plus fragile aussi, celle qui pour toute la famille était un mystère (et un peu, il faut bien le dire, un souci aussi), car on ne lui connaissait pas de don particulier.
Et toi, que vas tu faire, ma chérie ?; lui demanda le vieux roi tendrement.
Silencieuse, l'enfant regardait la carte du royaume, les terres administrées par chacun de ses frères et soeurs, et ne répondait rien.
"Tu ne sais pas quoi faire ?, demanda le vieux roi, doucement.
-Non, ce n'est pas cela... répondit l'enfant.
-Tu ne sais pas où aller ?
-Si.... seulement... c'est que...
-Parle-moi, dit le vieux roi. Tu sais, je peux tout entendre. Je suis certain que dans ce vaste royaume, il y a aussi un espace et un travail pour ton talent à toi.
-Pourquoi y a t il des zones du royaume où personne n'est allé? demanda l'enfant, sans lui répondre directement. Pourquoi y a t il ces trous noirs sur la carte de ton royaume ?
-Ah, répondit son père, pensif. C'est qu'en ces lieux de mon royaume, vivent ceux qui ont choisi de faire l'expérience la plus difficile.
-Et quelle est-elle, demanda l'enfant ? Qu'est-ce qui peut être plus difficile à vivre que la maladie, la séparation, la misère, la guerre, la mort, l'oppression, et toutes les autres douleurs que mes frères et soeurs ont déjà prises en charge ?
-Que te dit ton coeur ?, interrogea simplement son père.
L'enfant resta silencieuse un moment. Puis elle répondit :
"Mon coeur me dit que ceux qui habitent là ont choisi de faire l'expérience de la nuit la plus noire.
-Oui, dit son père.
-Celle qui ne se voit pas.
-Oui, dit encore le vieux roi.
-Celle qui ne se soulage pas.
-Hélas... ton coeur a dit vrai. Comme chaque fois.
-Ceux qui ont choisi de vivre là vivent dans lanuit même en plein jour, car la nuit qui les encercle les habite. Elle est intérieure. Ils ont, en quelque sorte, choisi de vivre emmurés vivants.
-Comment peut-on choisir cela ?, s'écria l'enfant. Pourquoi choisir un destin si triste et si lourd, alors que ton royaume regorge de joie ?
-Tel est le choix de ces êtres, murmura son père. Pour des raisons qui leur appartiennent, ils ont choisi de vivre une intense douleur, et parfois aussi de la faire vivre aux autres.
-Puisque tel est leur choix, il serait injuste et vain de chercher à les soulager, n'est-ce pas ?, demanda l'enfant. Ce serait contraire à ce qu'ils ont décidé pour eux-mêmes ?
-Oui, dit le vieux roi.
-Je voudrais m'occuper de ceux qui sont dans ces endroits là, dit l'enfant.
-Il n'y a rien à faire pour eux, dit le roi. Nous devons respecter leur liberté.
-J'ai bien compris, dit l'enfant, avec douceur et détermination. De toute façon, je suis trop fragile pour aller les aider comme le feraient mes frères et soeurs, si c'était permis. Je ne pourrais pas les soigner : je ne supporte pas la vue du sang. Je ne pourrais pas les consoler : je me noierais dans leurs rivières de larmes. Je ne pourrais rien leur enseigner : leurs cris intérieurs couvriraient tout ce que je voudrais leur dire. Je n'ai pas la force de vivre parmi eux. Mais je voudrais être, au milieu d'eux, comme un rappel de toi et du royaume d'où ils viennent, même s'ils ont choisi de ne pas s'en souvenir. Je voudrais être un peu de ta lumière au milieu de leur nuit, même s'ils ne la voient pas. Je voudrais être celle qui les écouteet les veille en silence. Je voudrais être... je voudrais être ta Présence.
-Alors c'est à toi de trouver comment l'incarner dans le noir, répondit le roi.
-Oh, j'ai déjà trouvé , lui dit l'enfant. Je choisis d'être une étoile."
Certains êtres brillent par leur action, d'autres rayonnent en silence. Tous sont nécessaires à l'équilibre de ce monde. La question n'est pas de savoir qui est le plus utile au royaume, ou le plus efficace, ou le plus performant.
La question est de savoir à quoi VOUS vous sentez appelé. Et de l'incarner.
Moi, j'ai choisi d'être une étoile.
Et vous ?
