"Je déteste ce destin qui ne nous a pas laissé la possibilité de nous rencontrer au bon moment, mais je lui dis quand même merci d'avoir permis cette rencontre.
Parce que quoi qu'il arrive, ce "nous" aura existé, et on ne peut jamais retirer la beauté à un souvenir."
Le 22 janvier 2025, je retrouvais les enfants de la Classe Bleue à l'école Montessori de Strassen (Luxembourg) pour un nouvel atelier d'écriture. Je leur ai proposé le jeu dubout-rimé: écrire un sonnet à partir de rimes imposées. Notre thème du jour était la machine à écrire.
Avant ma venue, les enfants avaient visionné en classe plusieurs vidéos sur cette invention : son mécanisme, son histoire, ce qu'elle a révolutionné dans le quotidien des gens... Nous avons listé au tableau leurs connaissances, puis chaque groupe a choisi ses rimes et composé son sonnet d'après la structure donnée. Et voilà le joli résultat !
Après notre atelier, chaque enfant a aussi pu s'entraîner à écrire son prénom sur une vraie machine à écrire prêtée par Joséphine, (super) enseignante de la Classe Bleue. Et ils ont pu constater qu'il faut nettement plus de force et de dextérité que sur un clavier d'ordinateur, descendant de la vénérable ancêtre !
On attribue l’invention des bouts-rimés à Dulot, un poète mineur au sujet duquel on ne sait guère autre chose et qui n’a pas su sortir du lot. Les Menagiana rapportent qu’un jour de 1648, Dulot se plaignit de ce qu’on lui avait volé un certain nombre de papiers de valeur et, en particulier, trois cents sonnets. Comme on se surprenait de ce qu’il en ait écrit autant, Dulot expliqua qu’il s’agissait de sonnets « en blanc », c’est-à-dire qu’il n’avait fait qu’écrire les seuls mots qui riment et rien d’autre. Tout le monde trouva l’idée amusante et tourna ce que Dulot avait fait sérieusement en divertissement.
Les bouts-rimés connurent une telle vogue dans les salons aristocratiques du XVIIe siècle qu’ils eurent même droit, en 1654, à leur satire par Sarrasin, sous le titre de Dulot vaincu ou la défaite des bouts-rimés. Le succès considérable de cette satire n’empêcha nullement la composition des bouts-rimés de se poursuivre durant tout le XVIIe siècle et une grande partie du XVIIIe siècle. Le terme fait son apparition dans la 4e édition du Dictionnaire de l'Académie française (1762).
Cette mode connut un regain de succès au début du XIXe siècle. Alexandre Dumas lui-même s’y intéressa en 1864 en invitant tous les poètes français à démontrer leurs talents poétiques en composant sur des rimes choisies pour la circonstance par le poète Joseph Méry. Dumas rassembla ensuite les réponses de pas moins de 350 auteurs dans un volume publié en 1865.
Dans le film Ridicule, de Patrice Leconte, dont l'intrigue se déroule à la cour du roi de France au XVIIIe siècle, une scène présente l’exercice des bouts-rimés comme l’enjeu d’une guerre pour le bel esprit que se livrent plusieurs courtisans.