On a encore une fois frôlé le désastre, mais je ne sais comment, on a tenu bon. Comme Stromboli, pour une raison qui m'échappe, est toujours bloqué de l’oral et de l’écrit, on a fini par trouver un modus vivendi. On ne communique plus que par tam tam. On a des conversations ondulatoires. On fait vibrer le téléphone du cœur. Chacun de nous reçoit les appels de l’autre instantanément et nous savons d’instinct quand l’autre est disponible pour parler. Parfois, j’ai aussi des flashs. Il me montre où il est, ce qu’il fait, pourquoi il ne peut pas répondre. Je suis donc équipée du son et de l’image. Lui, je ne sais pas. Mais quand je doute de ce que je capte ou de la qualité de mon décodeur (c’est-à-dire : comment j’interprète en pensées ou en mots ce qu’il m’envoie en ressentis corporels), je lui demande confirmation et la réponse en langage « tam tam » m’arrive aussitôt. Je ne comprends pas comment ça fonctionne mais c’est miraculeux. Et tellement pratique ! On peut être ensemble n’importe quand, même quand nous sommes occupés ou entourés d’autres personnes. Nos échanges passent totalement inaperçus. On peut se donner des trombes d’amour à l’insu de tous. Bien sûr, ça demande davantage de concentration pour capter et décoder si on n’est pas totalement disponibles, mais c’est possible. On doit juste parfois s’isoler dans un endroit tranquille, car la résonance du tam tam pulse tellement fort à certains moments qu’elle nous fait décoller. Après l’atomique, nous voilà à l’ère du supersonique. Ce n’est pas tout. Autre chose est à l’oeuvre, que je ne comprends pas bien encore. Je sens que jour et nuit, nos corps s’échangent des informations de toutes sortes, pas seulement sur notre quotidien mais aussi sur des choses plus profondes. Comme si nous mettions en commun nos connaissances et nos expériences de vie, que nous nous transférions mutuellement non stop des fichiers compressés. Plus le temps passe, plus notre communication sur ce mode s’affine. Par exemple, le matin, je sais exactement à quel moment Stromboli est réveillé, pas parce qu’il se met à cracher de la lave (haha !), mais parce que mon ressenti tam tam est différent. Quand il dort, je le perçois d’une façon plus feutrée, comme à travers une sourdine. Suivant que ses mouvements en moi sont doux ou saccadés, je sais s’il dort bien ou mal. Quand il approche du réveil, mes sensations se font plus fortes, plus nettes. Je retrouve l’accès à la totalité de la percussion. Et quand il se réveille, son amour déverse de nouveau en moi ses tendres vagues de feu en un crescendo… typiquement stromboliesque. Je sais ainsi que la première et la dernière chose de la journée qu’il a dans le cœur, c’est nous. On s’endort ensemble, on se réveille ensemble, sans le moindre contact dans le plan physique. Parfois, je sens aussi nos corps s’unir à l’octave supérieure. Alors je lui envoie un crescendo retour pour l’accueillir en moi. Maintenant c'est clair comme de l'eau de roche : même si je ne le revois jamais, grâce au tam tam, nous serons toujours ensemble. |